jeudi 14 mai 2015

L'actuel insulaire

Je contemple le monde à travers une fenêtre aux volets clos, et le ciel que j'y vois possède la profondeur de mon propre regard, insondable et sans origine, fondement de tous les horizons. J'ai le regard qui porte au loin mais les yeux bien ancrés dans le présent, dans cette croisière qu'est la vie, son écoulement ni régulier ni chaotique: son simple écoulement. Il n'y a jamais eu de futur, pour personne; seul un présent qui rêve, dérive et songe dans l'immédiat, à des berges phantasmées qui pourraient un jour advenir, ou qui, peut-être, dormaient, indéterminées, dans quelque coin d'espace.

Le temps des humains, c'est l'océan du possible et son reflet d'horizon - tel une mer inversée - qui se donne à voir depuis l'actuel insulaire. Partout où je ne suis pas, est cet autre en puissance que la vie me pousse à chercher à travers le presque-néant du rêve, pour que le presque accouche, advienne.

Je crois, lorsque j'y songe un peu, que l'actuel n'a pas de limite connaissable, car tout ce qui est connaissable est: c'est précisément la connaissance en tant que conscience d'un objet qui fonde et atteste l'être même. Cependant, il possède tout de même une limite métaphysique: l'horizon au-delà duquel nul ne voit pour le moment, la frontière temporaire et mouvante où se meurent les sens. L'indéfinité de l'actuel n'est qu'une infinité de façade, qui se construit processuellement lors de la constitution sensorielle du monde par les êtres.

Le possible, quant à lui, est véritablement infini. Il est le seul infini achevé, perfection du rien, anti-chambre d'un Tout à la totalité incommensurable (a-commensurable), impensable. Le possible, nul ne le voit, ou seulement dès lors qu'il apparaît, s'actualisant dans les déterminations de l'actuel qui en capturent une ombre portée l'espace d'une durée. Le possible, même lorsqu'il se défait ainsi dans la réalisation de l'actuel, jamais ne s'amenuise: il demeure infini, totalité qu'aucun fragment perdu n'ebrêche.

C'est vers lui que mon amour me porte, vers sa dangereuse singularité acentrique qui m'a si longtemps fait rôder à la lisière de l'être, au bord de l'ourlet symbolique du devenir. J'ai voulu rebrousser chemin, toujours plus, vers la source de l'infini réalisé; j'ai souhaité ardemment devenir pure inspiration.

Aujourd'hui pourtant, je sais que je ne le peux. J'accepte l'équilibre vital et le destin funambule de ma condition, ce souffle lové et suspendu entre l'inspiration et l'expiration qui me constitue. Il me faut accepter de faire. Il me faut accepter d'écrire ces mots comme une ternissure du songe d'où ils émergent. Je dois accepter de faire - d'une activité contraire au rêve (l'est-elle?) -, pour que celui-ci se fraye un chemin ici et maintenant sur la scène des phénomènes externes, et qu'il me donne, non seulement à moi, mais à vous aussi, frères, de goûter la douceur de l'illimité que je caresse et pressent dans les prémices encore inentamées de chaque geste esquissé.

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