samedi 10 janvier 2015

Abolir le savoir

"Je dus donc abolir le savoir pour laisser une place à la croyance", tel est à mon sens l'enseignement fondamental de Kant. Poursuivant le même chemin, j'en arrive aujourd'hui à la même position temporaire. Cependant je n'ai jamais su quoi faire de cette liberté ou plutôt c'est comme si ma raison me montrait quelque chose mais que tout mon être s'y opposait ou ne savait l'embrasser.

Puisque tout savoir métaphysique semble être une forme d'illusion linguistique (comment un discours pourrait dire la chose, une parole se substituer à celle-ci?), il ne reste qu'à admirer l'incroyable faculté créatrice de l'humanité. L'homme, depuis toujours a créé un monde qui lui appartient, il a unifié dans un système à la nécessaire légalité l'ensemble des phénomènes, le flux permanent de son rapport au réel indéterminé.

Mais face à ce constat, je reste désespérément effacé, en retrait, incapable de m'engager pleinement dans l'acte créateur qui serait une expression de cette source universelle, je ne parviens pas à renoncer à mes chimères enfantines et à la volonté de trouver. Souhaitant coïncider avec la totalité du réel, je reste, à l'image de ce que nous savons de lui en tant que chose en soi, indéterminé, indécis, informe. Je n'ai pas cette incroyable capacité des sceptiques à embrasser l'ignorance et la vivre comme un soulagement face à la violence harassante d'une quête effrénée de l'absolu. Je ne sais plus accepter l'évènement et habiter en bon stoïcien le présent qui s'offre et s'impose, je m'insurge et lutte contre mon impuissance, contre ce qui est, je me déporte de tout et de ce moi que je ne peux saisir. Impossible désaisissement dont les échos me parviennent si souvent avec envie et nostalgie.

Je n'ai, je crois, pas la force d'être un créateur capable de faire subsister un monde et de le faire jaillir à chaque instant. J'ai sans cesse en tête la grande erreur d'une mimésis qui me voit juger à la lumière d'improbables modèles l'oeuvre de mes mains en la dévaluant inexorablement. Je n'ose pas être ce que je suis, je suis miné par la crainte du jugement d'autrui, de mon propre jugement surtout, qui, dans son délire de perfection, se veut la somme de tous les jugements.

A force de me constituer moi-même en objet d'étude, j'ai fini par devenir cette indétermination réelle face à laquelle l'observateur se pose, la configurant a priori par les formes transcendantales de son appréhension. Mais que sont les formes de l'observateur que je suis? Puisque partout je ne vois que doute, silence et immédiateté muette et sans qualificatif, serais-je alors cela? Une pure ouverture au réel, une synesthésie affamée avalant le sensible, interface jamais repue vers l'inconnu indéfini. Et je dois vivre dans un monde où tout ce qui n'est pas saisissable et définissable est classé parmi les erreurs ou les insuffisances, un monde qui place des bornes sur chaque illimité.

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