jeudi 8 janvier 2015

L'appel de l'océan

Je me souviens comme si c'était hier du premier livre que j'ai lu, c'était l'histoire de Pipo le petit cheval rouge. J'étais tellement gamin, le monde n'avait aucune frontière, mon imagination était une carte étroitement intriquée à la réalité. J'ai su immédiatement après avoir terminé ce livre que je voulais être écrivain, n'ayant alors à l'époque (et n'en ayant toujours pas aujourd'hui) aucune idée sur ce que pouvait être un métier et encore moins celui-ci. J'étais tout simplement émerveillé, il me semblait que nulle limite ne pouvait contraindre l'homme, tout était un immense mystère, les gens comme les choses.

Puis en grandissant j'ai rencontré la contrainte, d'abord celle des parents, ensuite celle de l'école. Plus tard ayant pris quelque hauteur, je pouvais voir sur chaque pavé de la rue le quadrillage bien marqué de la propriété privée et publique, je pouvais voir la carte de l'arbitraire humain, ce que la politique avait fait d'un territoire indéterminé. J'ai commencé à trouver moins de temps et d'espace pour rêver, heureusement j'avais toujours les livres et puis l'indéfinie dimension parallèle  du numérique. Dans ce cosmos virtuel je me rappelle très bien comme les lois étaient presque absentes, comme les rêves individuels pouvaient façonner des pans entiers du paysage, j'ai traversé des galaxies tenant selon leur propres constantes, j'ai découvert la puissance des rêves de mes semblables lorsqu'ils ont droit de se réaliser.

Puis j'ai continué à vieillir, m'arrachant aux dessins animés pour les hautes tours des sociétés anonymes. Je n'avais alors plus de temps pour rêver, de toute façon plus d'énergie. J'ai rencontré le travail, la loi, le pouvoir et compris à quel point l'enfance est un mensonge qu'on tolère pour je ne sais quelle raison. Pourtant moi je ne l'avais jamais quitté ce mensonge, le conservant en moi envers et contre tout; jusqu'au point d'être incapable d'habiter ce monde et de sourire avec les autres, de prendre du plaisir à leur quotidien. Je me sens bien plus proche des enfants que des adultes. Les derniers m'ont fait tellement de mal, ils ont volé mes trésors et les ont frappé d'anathème, ne laissant rien d'autre que les impulsions électriques de mon corps, le rouage de ma causalité.

La vie d'adulte c'est tout perdre peu à peu, c'est enterrer toutes ces choses qui faisaient de notre monde un univers si singulier pour revêtir l'uniforme légal, avec des mouvements de base et l'impossibilité de s'en affranchir. Il n'y a pas la place d'exister ici, chaque jour est un tourment à l'intensité qui augmente, à mesure que pulse en moi le désir des fictions et des alternatives à inventer. Je n'ai pas grand bonheur ici, seul celui de la compagnie de quelques êtres qui font partie du cocon que je me suis tissé, celui du monde aussi quand je suis seul avec lui, seul avec les individus qui ne sont pas soudés les uns aux autres par des lois et un code du travail.

Et je recherche ce lieu rêvé où je pourrais tracer ma route au sein de vertes vallées. Je recherche la présence informe et créatrice de l'océan, celui de l'être qui s'exprime dans mes pensées, je quête mon voyage et ne sais plus marcher. Mes vagues se cassent de moins en moins loin sur la côte, ma mer se retire en elle-même, m'attirant toujours plus au large et semblant m'intimer l'ordre de mettre les voiles. Je ressens de plus en plus l'appel de l'océan et le chant des abysses.

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