lundi 10 mars 2014

L'âme en chantier

Le type filait dans sa belle décapotable rouge tape-à-l'oeil. Il avait la musique trop fort, de ces musiques industrielles que l'on produit en série pour les boîtes de nuit, suffisamment insipide pour qu'un volume déraisonnable ne produise aucune émotion, le genre de musique qui vous évoque la grisaille métallique et la couverture d'un magasine de tuning avec des femmes-poupées vulgairement fardées et aux seins siliconés. Il se sentait probablement libre, affranchi des hommes, alors qu'il emmenait avec lui toute l'humanité: technologie, industrie, marketing, design, etc., toute la facticité de ce à quoi il se sentait supérieur parce que possesseur. Le mouvement produit souvent cette sensation de liberté, peut-être est-il d'ailleurs notre seule liberté? Il fallait absolument que le monde le voit, lui, fendant les vies statiques de badauds, libre et pourtant tellement dépendant de leur regard et de ce manque qu'il espère produire dans les âmes de ceux qui l'auront contemplés, envieux.

Méprisable certes.

Tout autant que le désintéressement feint de l'intellectuel qui, se disant détaché de tout, rêve en secret qu'on l'admire pour ce même détachement. Détaché de tout sauf de la reconnaissance... Et s'il ne l'obtient pas alors il se dit même détaché de la reconnaissance, n'attendant plus qu'une chose: être un jour reconnu pour son détachement de la reconnaissance...

Pathétique et attendrissant, comme tous les hommes.

Il n'y a guère que les enfants et les animaux qui ne se mentent pas. Ils ne sont rien d'autre que leur volonté indisciplinée, une volonté entière et irréfléchie, c'est à dire une volonté à la multiplicité et à l'inconstance totalement assumée. Non, pas assumée, seulement vécue.

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