jeudi 20 mars 2014

L'âme en chantier

L'on est, je crois, le fruit de son temps; j'ai du mal à croire aux cultures précoces qui annoncent les récoltes d'un avenir encore lointain. Ma réaction philosophique est le résultat de ces nombreuses années de jachère noétique qui ont vu la philosophie se confondre avec l'histoire, et les pensées devenir des ornements dont se parent si bien les érudits issus de l'académisme universitaire. J'ai besoin d'une philosophie neuve, qui se fait dans l'instant, sans respect pour le passé, sans mépris non plus, une philosophie qui advient avec son temps, et qui sait (peut-être qu'elle ne se le demande même pas) qu'elle est à point. Aucune oeuvre du présent n'est réellement dirimante, et tout le travail passé est le terreau sur lequel poussent les idées neuves, neuves par leur surgissement et la forme qui les exprime, et anciennes par leurs racines et la généalogie qui est la leur. Plus je me gave de la philosophie du passé, celle des autres, et plus je sens pousser en moi ce violent flot de vitalité qui me presse de toutes parts afin de se déverser sur le monde des idées, balayant les semences d'antan devenues pourriture.

Il faut faire quelque chose; quelque chose est à faire; une nouvelle méthode doit advenir, etc.

Il est temps maintenant de rendre hommage au savoir pour les services rendus et de s'attacher à comprendre la méthode qui permet de le produire. Nous comprenons le monde des phénomènes par des explications génétiques, il est maintenant temps de s'attacher à la genèse de la pensée, à interroger l'origine de sa source et d'observer patiemment et avec acharnement le sinueux écoulement qui l'amène enfin, un jour, à affleurer à la surface. Comment se font les idées? Que pouvons-nous réellement savoir? Qu'est-ce qu'un savoir et d'où tire-t-il sa légitimité (à supposer qu'il en ait une)?

Autant de questions propres à nous faire savoir si l'homme n'a finalement comme unique fondement que le seul univers luxuriant de son imagination, auquel la croyance sait si bien donner une masse et une densité, à même d'incruster les rêves des hommes dans le système causal de l'effectivité phénoménale. Alors nous saurons quelle place laisser à la croyance ; nous saurons s'il nous faut danser sur la contingence absolue et se réjouir de toutes les métaphysiques anciennes qui sont autant de mondes prêts à habiter, ou bien s'il faut se détourner de la vanité de leurs auteurs qui ont voulu prêter à leur seul verbe la puissance performative, confondant la sagesse et la prétention à être Dieu.

Peut-être que ce chemin est un chemin de souffrance, récompensé seulement par la souffrance, mais, même dans ce cas, j'ai la faiblesse de penser que ceux qui sauront tracer leur sillon sur son dos, se rendront alors plus forts, plus vastes que leurs illusions et sauront chercher mieux, toujours plus finement, et se transformer assez, toujours et encore, jusqu'à ce qu'ils épousent une forme qui leur donne accès à un savoir, ou bien jusqu'à l'infini des métamorphoses, à devenir tout et chaque chose. Si la vérité ne doit être qu'un horizon intangible alors soit, il nous faut marcher droit devant, parce que telle est notre essence, tel est le subterfuge par lequel la nature a permis à l'être non fini qu'est l'homme, de poursuivre sa fin dans l'éternel devenir.

Nous courons après la vérité et nous devenons ainsi toujours plus vastes et différents, nous créons la vérité sur notre passage, nous en sommes l'histoire et l'éternelle gestation.

Nous voyageons entre croyance et vérité, sur ce chemin qui n'a nulle origine et nulle fin.

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