jeudi 18 septembre 2014

Langage inconnu

Je suis parfois sans voix; sans voix face au vide qui m'entoure de toute part, qui est aussi à l'intérieur de ce que je nomme "moi". Parler me devient insupportable, écouter les autres étaler leur vacuité devant eux et en éprouver une sorte d'étrange fierté crée en moi un malaise. Je suis ailleurs, irrémédiablement ailleurs, ailleurs que dans ces moments où rien n'est partagé.

J'aspire de plus en plus à une vie simple, libre de rêves, libre de volonté, libre d'attente et d'espoir, une vie où chaque instant est une acmé, où chaque moment est un merveilleux temps pour mourir. Je souhaite simplement pouvoir continuer à mouvoir mon corps, à me baigner dans l'océan, à pouvoir me perdre dans le silence de la nature et m'étourdir par sa beauté muette; mais j'ai eu le malheur de devenir philosophe. Le philosophe est celui qui poursuit de grands rêves, s'étonne lui-même et certainement s'admire tellement qu'il lui arrive souvent de se prendre pour une lumière de vérité dont il faut inonder le monde.

Je n'écoute plus les philosophes, ni ceux qui les dénigrent; je n'écoute plus les jugements des autres, je ne parle plus avec eux, qu'auraient-ils à me dire, si ce n'est cracher à ma figure les jugements qui les rongent de l'intérieur. Je n'ai rien à dire à personne et personne n'a rien à me dire de bien intéressant. Tout au plus apprécié-je la présence de qui veut s'interroger avec moi et partager ses questions les plus intimes, les plus lancinantes. Je n'aime plus que le doute, celui qui me fait voir l'humilité en autrui et le vrai visage de la condition humaine qui est une apnée interminable dans les eaux de l'ignorance.

IL n'y a plus qu'à ce journal et à mes quelques amis que je parle encore de moi, ce moi qui remplit sa vacuité d'une complexité inextricable. Combien de choses me faudrait-il exhumer pour faire comprendre à autrui une seule de mes expériences, une seule de mes interrogations, une seule de mes pensées. Il est bien plus facile pour l'autre de se faire une idée rapidement empaquetée dans son unité bien close puis de saisir en son esprit cette image commode. Les gens sont des galeries d'images et d'opinions. Je sais que dans bien des têtes demeure un portrait de moi, et je sais aussi une chose importante: face à chacun de ces portraits je me reconnaîtrais et malgré tout je resterais convaincu d'être à mille lieues de cette image. J'ai bien conscience de ce que je peux renvoyer à autrui et de ce qu'il saisit en son filet, je reconnais bien ce que j'y ai laissé traîner mais je reste irrémédiablement étonné que l'on puisse se satisfaire d'une image vulgaire, d'un simple symbole, pour toute compréhension de l'absolu que peut être l'Autre.

Ainsi j'offre perpétuellement quelque chose aux autres et je les laisse dresser un portrait robot qui leur permettra de me situer dans les différentes sociétés qu'ils côtoient, j'accepte, je n'ai pas la patience, ni la volonté, de les mener à ce chantier interminable que je suis, à ce chaos en ébullition qui me donne parfois un sentiment de solitude atroce et délicieux, celui de mon existence auquel ne répond nulle image, nulle idée et nulle objet par lequel je puisse le ramasser et le tenir devant moi. Je n'emmène personne dans mon dédale, pas même vous, à quoi bon.

Oh j'entends d'ici les critiques me lancer à la figure des propos qui contiennent certainement une part de vérité: que je me complais dans la plainte, que je m'érige en martyr. Ce n'est pas mon impression personnelle, je ne réclame aucun accord, aucune reconnaissance, je ne fais qu'exprimer mon sentiment sans valeur, sans valeur car aucun sentiment n'a de valeur, un sentiment se vit mais ne s'échange contre rien. Il m'arrive de penser être une forme de vie différente de l'humanité, échouée sur cette planète par un hasard incompris. Je crois que cette pensée qui me traverse parfois est la fondement de mon désir de vivre un jour une rencontre avec des extra-terrestres, avec d'autres structures transcendantales. J'ai cette folle idée que les rencontrer me permettrait de me sentir moins seul, et peut-être de comprendre mieux ce que je suis. Voyez-vous les autres sont une façon de lire le monde et j'en suis une autre. Non pas une façon opposée et qui en serait comme la traduction a contrario, mais bien plutôt un langage différent, un code forain et dont la sémantique appartiendrait à d'autres couches de l'existence.

On est vraiment seul, seul de manière absolue, du début jusqu'à la fin. Comme quelqu'un l'a dit, c'est une tragédie, mais une tragédie aux reflets de béatitude et de libération totale. Ma vie est cet oscillation entre ces deux faces de l'existence consciente.

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