dimanche 8 juin 2008

Cadre supérieur

Vous savez, c'est comme quand on vit dans une pièce enfumée, au début on suffoque, puis petit à petit on ne fais même plus attention à l'odeur, un filtre se met en place. Et bien là c'est pareil, j'ai intégré le monde du travail depuis 2 ans et à force je ne sentais même plus l'hypocrisie, je ne percevais plus le ridicule de toutes ces simagrées, de tous ces mensonges, l'ignominie
de tous ces rôles que l'on endosse pour devenir une pièce du puzzle, devenir quelqu'un dans la société.

Maintenant quand vous sortez ne serait-ce que 5 minutes de cette pièce enfumée, et que vous y pénétrez à nouveau, l'odeur âcre de fumée vous assaille de toute part, vous prenez soudainement conscience de tout ce que l'habitude vous avait amené à oublier, à ne plus détecter. Et bien là c'est pareil, cela fait maintenant 4 semaines que je ne travaille plus, et toute l'abomination que le monde du travail colporte me frappe à nouveau, me dégoûte, j'en ai même des hauts le coeur, des accès de violence et de rejet.

Aujourd'hui j'ai eu un entretien d'embauche...D'abord, les transports en commun: cohorte de personnes-robots courant le plus vite possible pour atteindre leur lieu de travail, quitte à s'entasser sans vergogne dans des des boîtes, à s'engouffrer dans le train de la mine. Odeurs moites, regards fuyants, les gens ne sont que les fantômes d'eux-mêmes, pâles silhouettes qui s'étiolent, qui suintent la peur et la résignation. Ensuite c'est l'arrivée dans l'entreprise, bien entendu je m'étais habillé pour la circonstance: costard, chemise, chaussures classes qui me font saigner des pieds au bout d'un quart d'heure de marche. J'avais honte de mon apparence, j'avais conscience du ridicule de cet accoutrement, de la servilité dont je faisais montre. J'avais honte aussi d'être habillé comme cela alors que des gens à côté de moi transpiraient la misère. Mais qu'à cela ne tienne, trouver un boulot est à ce prix. J'arrive donc dans l'entreprise, sorte de théâtre moderne ou les stéréotypes se côtoient, secrétaires en tailleur sexy et aguicheuses, dirigeants classes et toujours pressés, petits employés de bureau prompt à ramener le café. Plus le moment de l'entretien approchait, plus je me détachais de mon propre corps, je devenais le spectateur
averti d'une scène tant et tant de fois jouée, tel un critique de cinéma. Et hop ça y est le patron me rencontre, l'entretien débute, présentation de l'entreprise (et de son chiffre d'affaire pouvant combler la misère dans le monde), ensuite je suis invité à me vendre, à prostituer ma vie, mon temps. Toujours le même rôle auquel je n'arrive plus à adhérer, merde je ne suis plus convaincant me dis-je intérieurement. Mais tant pis j'essaye...J'essaye de faire semblant de m'intéresser, semblant de vouloir travailler le plus grand nombre d'heures possibles et avec le sourire s'il vous plaît. Autour de nous, les figurants vaquent à leurs occupations, tous caméléons dans un désert d'inhumanité, voués à ne revêtir qu'un seule et même couleur durant la majorité de leur survie, mais qu'est-ce que vous voulez, il faut bien manger, il faut bien consommer sinon où irions-nous trouver quelconque satisfaction?

Le pire dans tout ça c'est qu'une fois l'entretien fini, l'illusion a fait effet encore une fois, encore un boulot qui m'est promis... Dans ce monde où tant de gens courent après le travail, le chassent sans répit, non seulement je n'ai aucun mal à en trouver mais en plus je le rejette en bloc. Sur le chemin du retour, toute l'absurdité de ce jeu de séduction revient me hanter, je ne me sens pas à ma place dans mon beau costume dispendieux, dans mes belles chaussures, l'un comme l'autre inconfortables.

C'est décidé, je n'ai plus envie, plus envie de faire semblant...Non non non je dois le faire encore, encore un peu au moins, le temps de terminer mes études, d'obtenir le sésame pour accéder à l'enfer, si tout le monde se bat pour ça, pourquoi en ferais-je autrement? Mais plus rien à faire, c'est de plus en plus difficile, mon âme a goûté à la liberté, elle qui en avait oublié jusqu'au sens, trompé par les maîtres-esclaves, trompés par les hommes dirigés par les objets, eux-mêmes transformés en objets vaguement conscients. Ma peau de caméléon fonctionne de plus en plus mal, j'ai envie de quitter ma mue, je ne veux plus ramper ici-bas, j'aspire à m'élever, je suis déjà dans les airs, tout ce qui pourrait me ramener en bas serait une chute, violente...Cette fois-ci j'y laisserais des plumes, mon corps est déjà blessé, un objet l'a piégé, mon dieu, faites que mon âme n'y passe pas non plus, pas encore...cette fois-ci "je ne veux plus mourir!"

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