jeudi 26 mai 2016

D'autres chantiers

J'ai choisi les secondes où s'éteindrait le chantier de mon âme, quelque chose est bâti et je dois construire d'autres demeures. Celle-ci est terminée, il ne me reste plus qu'à y fixer une sorte de porte, vortex à jamais entrouvert entre l'ici et l'ailleurs.

Je choisis les jours maintenant où mes yeux fixeront de manière performative d'autres mondes où vivre.

L'âme en chantier, c'était une quête poétique, celle où l'on se trouve, à travers les formes des autres, où l'on emprunte un peu leurs sillons que l'on finit toujours par quitter. L'âme en chantier c'était ma façon de me perdre pour me trouver où je n'aurais pu le croire. L'âme en chantier c'est le ruban sobre et soyeux des poèmes en prose, d'une tonalité particulière de mon âme qu'il m'aura fallu développer en moult pièces musicales. L'âme en chantier, c'était le rythme à tenir, à extérioriser, une part de soi à exprimer dans un objet sur lequel on pourrait jeter un regard étranger, comme s'il s'agissait de l'oeuvre d'un autre (mais n'est-ce pas toujours le cas?). Rendre tout cela étranger à soi, afin de jouer d'autres musiques tout en sachant que celle-ci s'exécute désormais de manière automatique, comme un boucleur, comme une consciente inconscience, un savoir transcendé en un vécu lucide, capable de se rejouer à travers le prisme de l'altérité.

L'âme en chantier ne m'obsède plus, le bourdon laborieux s'affaiblit, les machines doucement éteignent leur moteur, les ouvriers s'en vont au repos, chez eux, méditant quelque autre chantier qui sera lui aussi un fragment de leur vie.

La silhouette littéraire de ce texte, cette métaphore d'un homme étroit aux formes concaves, portant un chapeau de notes et tissé de rythme, arpente une dernière fois la terre battue de cet univers de mots, jette sur l'édifice un regard fatigué mais fier, lucide et curieux sur tout l'amas de formes, de surfaces, de volumes et de hauteurs, sur ces couleurs ocres et ternes pareilles à la transcription chromatique d'entêtantes musiques mineures. L'homme, l'âme de ce texte, avance lentement, d'une ponctuation résolue, du pas sûr de celui qui n'a nulle destination connue mais qui sait tout de même qu'il est temps de partir. Le bruissement de pas est celui de mille racines entremêlées qui se délient enfin, lorsque le pied se lève du tapis de mots, coupant là l'unité du texte, le lien de l'homme et du sol. Chaque enjambée est un silence nécessaire dans l'énoncé qui se joue.

Un dernier regard circulaire: tout est bien, je ne regrette rien, ni les imperfections, ni les maladresses qu'il est inutile de gommer.

Les lettres alors se dénouent et l'homme se disloque dans un tourbillon silencieux de bolduc. Tout s'égalise dans un silence de fin de chanson.

Le silence est la matrice de toutes les musiques, et la musique la source de tous les silences.

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