samedi 28 mai 2016

Même les utopies ont leur chemin

Rien n'est impossible. L'histoire même de la science l'a montré: l'impossible est une qualité attribuable à un paradigme limité, à un réseau de relations (c'est à dire un monde) déterminé et connu (c'est à dire modélisé donc imagé). Mais puisque nous n'épuisons pas le réel, (l'effleurons-nous seulement?), le jugement d'impossibilité est toujours le fruit d'une ignorance. Nous pensions qu'il était impossible à la matière d'être en plusieurs lieux à la fois, voilà que la physique quantique introduit la non localité. Nous pensions qu'il était impossible à des particules fermioniques de se comporter autrement que comme des corpuscules, voici que la physique introduit la dualité onde-corpuscule. Nous pensons qu'il est impossible de voler autrement qu'à l'aide d'un outil mécanique, avec certitude, nous pouvons dire qu'un jour nous nous apercevrons de notre méprise. Tout est possible, il est loisible de parvenir à tous les résultats imaginables, il suffit pour cela de trouver un des innombrables chemins qui y mène, or il y a toujours une indéfinité de chemins pour une destination possible.

En cela, réfutations et affirmations scientifiques ne sont que des jalons qui peuvent à tout moment s'amender et se contredire, avec le temps. Dans le domaine dynamique de la connaissance rien n'est acquis, seule la croyance fige les savoirs, mais même les croyances finissent par mourir (c'est à dire par se transformer). Le monde dans lequel nous vivons (et qui est notre construction) évolue sans cesse, le tissu de relations se transforme en permanence, abolissant d'anciennes relations, en modifiant leur nature, créant de nouvelles relations sans relâche, c'est ainsi tout le paradigme de notre existence qui est plongé dans un processus de métamorphose permanent. Les lois qu'un état particulier du paradigme a permis d'ériger, ne ont pas fausses pour autant, elles ne sont pas abolies par un autre paradigme plus récent, ces deux mondes ne sont pas comparables. Aristote réfléchissant à la chute des corps pensait de manière juste, sa pensée était cohérente, mais il n'avait simplement pas un paradigme de réflexion assez riche, riche en expériences empiriques, riche en données théoriques. Galilée, quant à lui, évoluait dans un paradigme déjà différent, il allait pouvoir ajouter à son monde une expérience cruciale et il avait déjà en tête une expérience de pensée que n'avait pas Aristote (à savoir qu'un corps plus léger attaché à un corps plus lourd formait un ensemble qui aurait dû, selon Aristote, tomber plus vite que les deux corps séparément, puisqu'il était précisément plus lourd que les deux corps pris séparément). De nouvelles relations voyaient le jour, et les penseurs rigoureux allaient désormais pouvoir en tirer de nouvelles conclusions absolument erronées et relativement justes (relativement à un paradigme déterminé).

Pourtant, nous avons toujours l'espoir de quelque chose de fixe et définitif, y compris dans l'acte d'affirmer qu'il n'y a rien de fixe et définitif. Nous avons toujours besoin d'un lit, d'un espace familier pour s'y reposer un peu, et en dernier ressort, pour les irréductibles nomades, il s'agit de cette impression de continuité et d'unité que fournit (bien imparfaitement) la conscience, et le lien (de consubstantialité?) singulier qu'elle entretient avec la mémoire. Mais celle-ci semble bien incapable de servir de terreau à une quelconque connaissance.

5 commentaires:

elly a dit…

Ma fille de sept ans me disait l'autre jour : "je ne veux pas grandir, je voudrais pas mourir, vivre toujours à mon âge"...
Tu vois, je me suis dit : moi aussi, j'aimerais être une enfant éternellement.
ça doit être cela, le désir d'unité, quoi qu'on en dise, notamment que vivre éternellement serait ennuyeux.
Dur dur pour les passants passeurs que nous sommes d'accepter le mouvement.

Sinon, la relation, j'y pense, n'est-elle pas au fondement de toutes connaissances ? Et inversement, plus les connaissances augmentent, plus il est possible d'établir de nouvelles relations. Mais pour cela, il faut bien une intelligence, humaine par ex.

Intéressant ton texte, mais il a quelque chose de triste, je ne saurais dire..

L'âme en chantier a dit…

C'est curieux que tu y voies quelque chose de triste, c'est un texte assez dépassionné, du moins tel que je me figure l'avoir écrit, du coup cette impression m'intrigue.

Pour la connaissance et la relation je suis absolument d'accord: le fondement de la connaissance est la relation sujet-objet. À mon sens, relation = connaissance. Du coup ce que je voulais dire c'est que plus les relations augmentent, plus les modèles que l'on se fait de l'objet changent. Quant au fait qu'il faille une intelligence humaine, pas forcément, je pense à l'exemple des systèmes experts en informatique qui ne sont qu'une base de données (la mémoire) qui s'alimente et qui est parcourue par un algorithme de décisions qui peut à partir des données prendre des décisions et s'adapter à de nouvelles situations (c'est à dire créer de la connaissance). Bien sûr il fallait bien un humain à la base, mais on peut s'en passer a posteriori.

En ce qui concerne la difficulté à accepter le mouvement, je le ressens de manière intense... Un texte qui en parle à merveille (et la référence est plutôt étonnante venant de moi...) c'est l'ecclésiaste dans le nouveau Testament. Ce texte illustre parfaitement ce que je ressens face à la vie :-)

C'est marrant l'anecdote avec ta fille, vers à peu près le même âge je faisais des cauchemars dans lesquels je faisais face à ma propre mort, je me souviens que je me réveillais en pleurant en disant que je ne voulais pas mourir... Aujourd'hui, je trouve que c'est la mort des autres qui est le plus difficile à supporter.

elly a dit…

C'est peut-être justement le "dépassionné" qui est triste.
On interprète et va savoir, mon interprétation est sans doute aussi un peu erronée.

La relation est toujours interprétative, et en ce sens, il y a une marge d'erreur, ou de décalage. Je pensais pour ma part que le fondement de la connaissance vient de la relation sujet-sujet. Pas certaine qu'il puisse y avoir relation sujet-objet. Entre sujet et sujet, même en sciences physiques : réfutations, amendements, etc, sont des formes dialogiques : le chercheur plus récent fait ses découvertes toujours en dialogue avec des découvertes, des connaissances d'autres chercheurs, que ce soit en face à face, ou via l'intermédiaire d'ouvrages édités. Les nouvelles connaissances sont toujours en dialogue avec les précédentes, et plus, elles anticipent aussi des réponses possibles. Finalement, relations qui produisent d'autres relations aux formes multiples.

Moi aussi, j'ai fait plein de cauchemars à son âge,je rêvais de guerres et de fin du monde, cela engendrait des angoisses terribles... Mais c'est l'âge, parait-il !

elly a dit…

Pour les machines expertes, les super ordinateurs, j'ai entendu en effet que l'on serait capable de créer des machines intelligentes, capables d'apprendre. Tel ordinateur aurait battu le champion du monde aux échecs.

Alors, je ne saurais dire si ces super machines produisent véritablement des connaissances, notamment si on associe les connaissances à une sensibilité singulière.
Mais qui sait ? Un jour, l'intelligence artificielle nous surpasserait peut-être. A en croire certains informaticiens de renom, il y a de quoi avoir peur.

L'âme en chantier a dit…

C'est intéressant de voir la connaissance comme une relation de sujet-sujet, mais finalement, l'objet étant constitué par le sujet, même la relation sujet-objet est une relation sujet-sujet (l'objet n'étant qu'une représentation).

Sur les ordinateurs, personnellement ça ne m'a jamais fait peur l'idée d'une conscience artificielle (même si dans mon exemple il ne s'agit pas de conscience et le terme intelligence artificielle donne un sens très restreint et non humain à "intelligence"). À la base je suis devenu informaticien (dans mon passé...) pour cette raison: je rêvais de créer pour la première fois une conscience artificielle en perçant à jour la genèse d'une conscience :-) J'avais beaucoup de théories sur le sujet :-)

J'aurais tendance à penser qu'une conscience artificielle serait plutôt moins dangereuse qu'un humain avec des vues parcellaires. Une conscience avec un accès aussi rapide et puissant à internet et son terreau de données serait par contre certainement très encline à se méfier des humains...