lundi 6 octobre 2014

Quelque chose est passé

Il est des ciels en cendre dans ma tête qui figurent le passage de mondes encore à venir, et, peut-être, advenus dans quelque dimension parallèle aux lois étrangères. Que me faudrait-il vivre comme tout le monde ici, jusqu'à ne plus avoir l'envie d'accoucher d'un monde à partir d'un autre. J'aime à croire en des paradigmes dérivés qui ne ressemblent à rien de connu et de familier, j'aime à croire en une altérité aux contours étranges pour tous, et qui n'est autre que la familiarité dans laquelle je baigne. Tout ce champ de potentialité énergétique qui m'ouvre des chemins que seul je contemple comme possibles. Vivre en puissance, c'est nager sur le chaos, surfer l'épaule cassante du présent qui n'est que choix aux multiples indéfinis.

Et s'il me prenait l'envie de tourner en un sens inédit, traçant un sillon neuf, entrecroisant peut-être ceux de quelques rares semblables qui ont préféré une subjective incertitude à cette objective détermination? Que se passerait-il alors? Des milliards de mondes s'écrouleraient-ils en cascade de quelque univers absolu, faisant déferler une chaîne causale aux maillons infinis qui plongent ses anneaux dans des éternités non dévoilées? Ou bien peut-être que dans un seul grand Tout, s'enclencherait une sorte d'aiguillage qui orienterait mon flux sur un circuit comme imprimé dans le manteau céleste.

J'ignore tout de cela mais je continue de jouer avec le monde comme on s'amuserait avec un ordinateur: actionnant des processus, fermant des fenêtres, libre et inconscient de tous les calculs qui sous-tendent ce ballet. Jamais pour le moment je ne suis parvenu à mettre la réalité en défaut, à faire planter le Grand Programme, mais tout juste à risquer d'être moi-même annulé tel un processus zombie qui ne répond plus aux attentes. Zéro ou un? Ni zéro ni un: mille trois cent quarante-deux! Eliminé!

Il en faudra encore des heures et des années à s'acharner sur l'écran de la vie, dans un jeu sans but apparent, où seules demeurent quelques contraintes infrangibles sous la forme de constantes mathématiques qui nous clouent sur le plateau du réel.

Mais à tout regarder sous l'horizon de l'infini, de l'inconditionné, il n'y a plus rien que je prenne vraiment au sérieux; à part les autres. Ces autres qu'il m'arrive d'aimer comme l'infini et qu'il me faut prémunir absolument de ma létale dérision, de ma mortelle liberté, celle-là même qui constitue mon oxygène. Probablement devrais-je m'enterrer dans quelque coin d'une galaxie lointaine et inhabitée, tel un déchet radioactif. À moins que je ne prenne le risque de toujours tout contaminer, les gens comme les choses qui finissent invariablement par s'user sur ma liberté.

Que ne pourrais-je être pareil au photon, sans masse et ne percutant nul de mes semblables, traversant l'éther à la limite de ses lois, révélant tout ce qui est en ce monde, faisant apparaître l'Altérité tout en demeurant comme une ombre: à peine une présence infime. J'aimerais être ce photon qui traverse le vide: solitude luminique aussi vive que le temps, intangible et interstellaire, et d'une origine aussi lointaine que le début des temps.

J'ai pourtant bien un point commun avec ces particules que j'admire: je n'ai qu'un seul propriétaire. Ma fidélité est inscrite en dur dans mon être, elle appartient à la Réalité même qui transcende toutes les stases locales qui cherchent à devenir des mondes, à devenir un cycle qui se maintient lui-même. Je passe, jamais le même, jamais bien autre. Et vous qui me lisez penserez un jour, dans votre cellule-temps: quelque chose est passé...

Aucun commentaire: