mercredi 8 octobre 2014

Les mots et les Hommes

Je me demande parfois ce qui a bien pu provoquer en l'homme cet étrange paradoxe: son appartenance à la vie en fait un être impermanent qui tout en étant conscient de cela, s'arroge le droit d'espérer demeurer éternel et immuable comme s'il s'agissait d'une croyance légitime.

Peut-être est-ce dans le langage qu'il faut chercher la cause de cette antinomie, langage qui offre à l'homme des mots, des signes fixes aptes à produire des cartes stables et constantes de la réalité mouvante. Tenez, je parle de réalité mouvante, comme si un concept bien déterminé pouvait signifier ce qui est par essence une forme d'indétermination absolue, ce qui n'est que perpétuelle création et mouvance.

L'homme s'est tellement confondu avec son langage qu'il cherche à s'en attribuer les propriétés, ne voyant pas dans quelle impasse il s'aventure alors, voué à se heurter à cette ineffable expérience du réel sur laquelle se brisent invariablement tous les espoirs et les velléités solipsistes.

Non le réel n'est pas un ami, ni un ennemi, et il n'y a que l'homme pour croire que le monde signifie quelque chose, qu'il est chargé d'affects alors que ces derniers ne sont que la modalité relationnelle qu'il entretient avec "son" monde.

Mais probablement tout cela n'est pas plus mal: à force de prétendre être éternel, l'homme bâtit sa culture bien au-delà des limites d'une vie humaine, il transmet, éduque et ne cesse de s'élever et de se surmonter par ses enfants. C'est le langage, je crois, qui a donné à l'homme une histoire, c'est le langage encore qui a fait du monde humain un monde en soi, incrusté dans le réel à travers les signes qu'il y grave. L'homme par les mots s'est approprié le réel, pour le meilleur et pour le pire.

Alors que tout dans la nature meurt et renaît, là où tout n'est qu'un perpétuel commencement, l'homme écrit son histoire et se continue sans fin, faisant de chaque naissance non un acte dirimant, mais une confirmation, un prolongement des projets initiés. Je me prends parfois à rêver de ce que tout ce processus donnera dans quelques milliers d'années: je m'imagine, cryogénisé puis réveillé dans quelque époque lointaine, en simple spectateur, en simple élève de l'histoire. Je déambulerais alors dans les rues, anonyme, absolument seul au monde, dans un environnement forain. Angoisse ou soulagement, je me rendormirais alors pour quelques millier d'années et passerai ma vie à découvrir des mondes.

Mais tout cela n'est que mots, voyez mes pensées sont déjà ailleurs, elles ont vécues et sont passées, d'autres ont jaillies de leur dépouille. Il me faut maintenant partir car le fleuve lui, n'a de cesse de s'écouler.

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