lundi 2 janvier 2012

Votre ombre

Ô la miraculeuse révélation face à laquelle nos pauvres têtes s'inclinent en signe de révérence courtoise et passionnée: je n'ai aucun style. Ou plutôt devrais-je dire que j'ai tous les styles. Que dois-je conclure de cette éclatante vérité à l'odeur d'excrément si ce n'est que l'écriture n'est et ne sera jamais qu'un jeu pour ma personne éplorée. Tout est affaire, et cela semble être le cas dans tous les domaines connus de l'auteur, de rôle et de virtuosité à ne pas prendre ce dernier au sérieux. Ironiser! C'est donc avec l'âme toute ironique que je m'en vais réaliser ma parfaite métempsycose, parfaite car il n'est nullement attendu que je meure afin de m'incarner dans une autre personne. Sacrilège! Aurais-je donc défié les dieux pour en arriver là? Mais qui suis-je pour oser écrire ainsi, comme on vit une individualité quelconque, en en revêtant le costume, les mimiques, les gestes et jusqu'au passé.

Bref nous voici donc confronté à l'odieuse vérité qui par ailleurs comme toute vérité n'en est plus une une fois prononcée. Serions-nous donc confronté à du vide? En quelque sorte oui, du vide à combler de mille manières différentes, d'une myriades de vies insignifiantes que seuls le signe écrit saura réveiller, incarner et rendre à l'inaltérable absurdité de la vie. Vers quel point faut-il donc se diriger dorénavant? Quel horizon doit-on assaillir de nos pas pressés? Serait-il pertinent de se faire payer par des étudiants pour rédiger leur copie à leur place? Embrasser l'édifiant métier d'écrivain public? Se cacher dans l'ombre et devenir un nègre? Autant d'avenirs que l'on peut résumer par le terme suivant: prostitution littéraire! Devrais-je donc annoncer fièrement à mes parents, un stylo sur l'oreille, que leur fils va devenir un péripatéticien des lettres, un sans visage, un sans nom? Existe-t-il une autre alternative consistant en la continuité d'une activité d'écriture purement ludique et sans autre prétention? L'arrêt définitif de tout glissement de mine sur la douce peau du papier blanc (dit-il tapant sur son clavier)?

Mais oui! C'est cela! Le pastiche, la faribole, la boutade! Tu deviendras journaliste mon fils, dans un journal excrémentiel, tu pondras des lignes de blagues acerbes sur un ton ironique et acidulé pour te moquer de tout et de tous. Tu seras un fouille-merde, payé à la lettre. Un critique d'élite, prompt à fustiger tout ce qu'il n'aura jamais le talent de faire. Un sombre individu méprisable et honni de tous à part de la pire engeance qui soit, je veux parler de cette caste d'aristocrates parisiens autoproclamés, de ces petits arrivistes détestables, ces valets de l'argent. Eux sauront apprécier ton verbe délié qui fait mouche et s'immisce dans les plus profondes bassesses humaines afin de faire suinter le sang de l'innocent, et bientôt tous viendront s'abreuver à la mare de la pureté qu'ils ont perdu, prolongeant ainsi leur misérable existence de parasites. Lorsque la haute société parisienne t'apprécie, il est généralement temps de sauter du douzième étage pour tester l'élasticité de ton ossature et par la même occasion, la résilience du béton de la rue.

À moins qu'il n'existe un écrivain de génie encore inconnu de tous, un oublié à qui voler l'identité? Voyez dans quelles extrémités cette épouvantable situation me pousse! Je ne sais que faire si ce n'est mon deuil. Il me faudra me vendre à ces rapaces ou bien tuer mon identité littéraire, qui rappelons-le n'a jamais existé. Je pourrais par un artifice non dénué d'impertinence former un surnom composé de tous les noms d'auteurs que je vais imiter? Si je m'en tiens à mes favoris du moment, cela donne: Ccbc... On a connu plus vendeur. Mais qu'à cela ne tienne, il faut que j'élargisse mon répertoire, que je trouve des auteurs dont le nom débute par une voyelle et non une consonne. Aragon, Asimov, Eluard? Aller je réessaye: Cacabec... Caca Bec. Original, on reste dans le domaine du fécal pour un individu qui peut s'apparenter à une merde c'est dans le ton. Ou bien en changeant l'ordre: Baca Cec. Un petit côté pays de l'est qui peut connaître son heure de gloire. Aller n'insistons pas... Tu vois bien que c'est ridicule, qu'il n'y a rien à faire à part continuer de ne pas être? Si ce n'est une ombre, l'ombre des grands qui se serait égarée dans le monde de la chair, avec huit ans d'âge mental et qui ne penserait qu'à jouer avec la seule chose qu'elle ait jamais connu: les mots.

Ces idées m'entraînent jusqu'à la logorrhée ou plutôt devrais-je employer le terme d'idiorrhée, mais il me semble que le bât blesse question étymologie et que je viens à l'instant de révéler au monde mon insondable inculture de béotien, mon prosaïsme atterrant. Cette péroraison n'ayant potentiellement pas de fin, je me vois dans l'obligation d'abandonner mon lectorat à sa vie trépidante. Je cesse d'écrire pour le moment. Je recevrais avec grand plaisir vos lettres de soutiens ou d'insultes mais surtout vos suggestions sur l'identité à adopter. N'étant aujourd'hui personne, je cherche désespérément une coquille humaine à habiter, une âme autrement dit, un style. M'inclinant bien bas, je vous attend, patiemment, baignant dans mon désespoir intime parmi les alphabets qui n'ont pas vu le jour, les langues ratées et les détritus de mots.

Bien à vous, votre ombre.

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