dimanche 10 février 2013

Au fil de la raison

J'ai vu ton vrai visage, homme du savoir, tu portes des fourrures et des masques pour te cacher mais ta pureté n'a pas de cage. Depuis la forme de ton crâne jusqu'à tes tremblements, tout indique la lutte en toi, mais sans cesse et toujours, c'est l'innocence au creux de toi qui perce enfin au grand jour. Tu as les yeux perçants, tu es si attentif. Je te vois observer tes semblables, examinant le moindre effet de tes propos sur leurs visages, ton physique te fait ours maladroit mais ton esprit est plein d'égards et de douceur.

Les mots sont ta demeure, et lorsque tu sors au grand jour, tu t'enveloppes à l'intérieur et offre ce rempart à nos regards inquisiteurs. Je connais les mots, tout comme toi, ce sont eux qui me portent lorsque mon être se referme. Il m'a suffit d'ouvrir le filet de ta voix pour accéder à toi; je t'ai vu, tu étais là, petit et aérien, dans ton grand corps balourd.

Mais vint un jour ou ce fût à mon tour, de m'exposer à tous les regards, aux jalousies et aux espoirs. Seulement j'ai quelque expérience de ces épreuves, je sais scruter la peur et l'abriter en moi. Je ne sais alors ce que j'ai fait, si j'ai réussi à être moi, ne serait-ce qu'en partie. Ta corde j'ai fait vibrer, d'une manière ou d'une autre, dans ma voix tu t'es bercé. Lorsque j'eût terminé de créer un pont de lettres entre tous nos esprits, tu as planté tes yeux dans le fond des miens. Fini la rigolade, tu avais enlevé le masque, et je ne sais par quel miracle tu avais su ôter le mien. Qu'as-tu donc vu en moi, j'ai bien du mal à le savoir... Dans cette face brutale et cet air ahuri, dans ces propos maladroits et ce trop-plein de prévenance.

Nous nous sommes regardés et pour la première fois, je me suis senti reconnu, démasqué. Quel reflet de ma personne as-tu ainsi capturé? Serait-ce moi, homme de la douleur, qui ai enfin trouvé le moyen d'exister face aux autres? Peut-être ne comprendrais-je jamais clairement ce qui a pu toucher vos âmes à cet instant. Peut-être devrais-je me contenter de vos remerciements. Il semblerait en tout cas, que j'ai pu, par un moyen que j'ignore, t'apaiser un peu, te faire baisser les armes. C'est que, vois-tu, tu n'as rien à craindre de moi, je te respecte, et ma pensée n'est pas un mur d'ego, mais une main tendue à qui veut l'emprunter.

De cette expérience inoubliable, je garde en moi le doute: aurais-je trouvé le chemin pour vous mener dans mon espace? Aurais-je trouvé quelqu'un qui veut bien regarder?

Mais la raison est toujours là, elle est mon étoile du matin. Vos jugements sont des fers, je les accueille puis les fait ressortir. Je dois continuer ma route, toujours plus loin, éclairé par mes deux gardiennes: la raison et ma mémoire. Mais je garde ce souvenir en moi et, peut-être, un jour, je t'emmènerai avec moi, au fil de la raison.

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