samedi 7 septembre 2013

La vie du voyageur

Sans cesse tout s'agite, rien ne trouve le repos bien longtemps en l'homme. Et d'aucuns passent leur temps à se demander pourquoi, à tenter de comprendre ce qui se révèle être aujourd'hui une évidence pour moi: nous cherchons tous la mort. Nous, vivants à l'étant agité, cherchant le repos éternel de nos sentiments, nous cherchons la paix qui s'apparente au silence, à l'immobile portrait figé des choses éternelles. Certains parlent de Dieu, comme d'un être absolument parfait, d'une perfection pleine, en acte, à laquelle on ne peut rien ajouter, une totalité absolue; partout je n'entends que cette adoration des vivants pour la mort, elle est leur horizon qu'ils aspirent à toucher. Sortis d'une mort enfouie dans le passé et qu'on ne peut revivre, il nous faut aller vers la fin du voyage, vers ce naufrage dans lequel plus rien ne tangue, cette sérénité minérale, cet équilibre qui s'oppose tant à ce qu'est l'existence. Car enfin l'homme est un déséquilibre, ce déséquilibre est son essence même, la vie est une négation de l'entropie, de la paix, du repos, de l' homogénéité. La vie est chaos, chocs et luttes, elle est une tension perpétuelle, un déchirement qu'il nous faut traverser. Ô combien se trompent ceux qui croient aspirer à la vie éternelle car la vie n'a rien à voir avec l'éternité, et leur voeu n'est autre que d'apaiser les remous dans lesquels ils se noient, dans cette peur qui est déchirement, dans l'angoisse de l'anticipation, dans la hâte que l'on ressent face à tout vide, encore plus lorsqu'il s'agit du nôtre. Les humains veulent se traverser eux-mêmes, franchir une bonne fois pour toute cet espace qui les disperse, qui les étire et les force à se mouvoir dans le temps, à toujours devoir se regrouper pour maintenir une unité si distendue. La vie est un plongeon dans l'espace-temps et le nageur n'a de cesse de rejoindre l'autre bord.

Une fois que l'on accepte cela, la simple conscience que le sens de nos vies est la mort n'est d'aucun réconfort, car alors comment expliquer ce manque d'engouement pour le suicide, ou bien ce goût pour les morts lentes, quasi imperceptibles que nos sociétés savent si bien prodiguer? Tout simplement car la vie est une tension vers la mort mais jamais elle ne s'y confond pleinement,  la vie est ce déchirement, ce chemin reliant un seul et même point à l'autre bout de lui-même, elle est une boucle qui sort tout droit du néant pour y retourner. Toi vivant tu dois contempler chaque jour cette vérité, cheminer sur ta route, naviguer sur ton Styx tout en sachant que l'amour du déséquilibre, de l'existence, est aussi fort en toi que ce désir de mort qui t'attires vers le repos. Et tu connais dorénavant qu'il n'y a pas d'objet à tes désirs et que ce à quoi tu aspires n'est pas une chose mais une durée entre les choses éteintes, un espace à parcourir sans fin. La source de tes désirs est un déchirement perpétuel que tu entretiens car il en va de ton essence et de ta vie, bien que tes illusions et ta souffrance te poussent à te hâter vers une sortie qui n'est autre que ta négation propre. Tel est le destin de l'homme, contraint de se plier à la fatigue, de s'offrir à l'inassouvissement, à la soif inextinguible d'un breuvage qui n'est autre que la soif elle-même, cette même soif qui le ronge et appelle à être éteinte. La vie est le passage de la souffrance qui vient déchirer le néant, elle s'apparente à une force toujours en acte, à une interminable fatigue.

Rassurez-vous pourtant, on peut aimer la souffrance; on peut l'aimer bien plus que tout, et alors tout s'illumine pour un temps. La vie est cet espace et ce temps que nous remplissons de nos doutes, de nos sentiments, et finalement de notre volonté. Ce vide sera assurément ce que nous voulons qu'il soit. Apprendre à bien vouloir est la première leçon essentielle pour bien vivre. Bien souvent c'est à se regarder vouloir que la frustration s'adoucit, puis il ne reste alors qu'une curiosité bienveillante pour soi-même, l'homme et enfin le monde. Celui qui a connu cette curiosité sait alors, bien qu'il ne puisse s'en faire le maître, ô combien enfer et paradis ne sont jamais que deux perspectives d'une seule et même chose, et que cette chose est l'existence même.

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