vendredi 6 février 2015

Proésie

Je ne suis jamais parvenu à être beau dans ma vie. Comprenez bien, je trouve parfois mon destin gracieux, dans ses circonvolutions, dans ses méandres et ses boucles, mais tout cela n'est qu'une ombre. N'importe qui peut produire l'illusion de la beauté en projetant avec deux mains boudinées une ombre sur un mur, figurant le vol délicat d'un oiseau. Moi, je n'ai jamais été beau dans ma vie; alors j'écris comme un forcené qui tâcherait de se rattraper dans les mots, en se tissant un filet d'exquise finesse dans le tissu des phrases.

J'écris en prose, car elle est comme moi, banale, vulgaire, grossière et sans finesse apparente. La prose est méprisée et je suis celui qui trouve les plus profonds puits de beauté dans la banalité des choses que l'on ne sait plus observer, je suis l'enfant qui gratte le vernis commun que l'on a plaqué sur des choses à l'absolue singularité. Les vers me vont mal, ils me font mentir, donnent l'impression d'un nain qui se prendrait pour un géant et qui ne saurait se mouvoir dans ce corps trop grand.

Que voulez-vous mon coeur rebelle, encore adolescent, se porte constamment sur ce qui est rejeté et déprécié. Je vais fureter dans les décharges communes des hommes et j'y trouve sans cesse de nouveaux trésors, j'y fais pousser des fleurs et des plantes qui me font un jardin plus alme que ne le sont tous les champs de la Terre. Je porte une affection particulière à tous les objets brisés, destins comme choses, que je ramasse en mon coeur et que je panse avec mes mots.

La prose voyez-vous, c'est la prose que je choisis, parce que je n'ai jamais eu le choix, parce que je suis le commun que l'on n'aperçoit pas, le vieux rideau usé que l'on n'entrouvre pas, et pourtant, peut-être découvrirait-on derrière un univers à la richesse insoupçonnée... Il faut passer par le corridor de la prose pour atteindre le coeur pulsatile de mes pensées, roses noires de jardins dévastés, corolles pourpres de pétales déchirés. Combien de clarté sublime se love dans les fragments qui gisent abandonnés de leur source, dérivant sur le dédain des hommes, porteur d'une lumière qui luit toujours plus profondément vers l'intérieur.

Je n'ai jamais été bien beau dans la vie, alors je prends le style le plus banal pour en faire des poésies. La prose n'est pas mon langage elle est la peau de mon visage, elle est l'allure de mon pas et de ma silhouette morne, elle est le rythme de mes songes et la tonalité de mon âme.

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