jeudi 12 février 2015

La loi du ciel

Il me faut absolument un travail; précaire de préférence, afin d'être contraint de changer régulièrement. Le travail rémunéré et obligatoire me semble constituer la dernière ancre qui m'arrimerait encore ici, dans l'effroyable valse sociale.

Je m'allonge dans un bois les yeux vers le ciel et mon esprit entreprend l'interminable voyage des abstractions: du ciel bleu je m'élève jusqu'à la mésosphère, puis, sortant enfin de l'ionosphère j'observe la frontière entre l'azur, qui semble pour les terriens un horizon infini, et la nuit diaprée des espaces intersidéraux. Je m'élève encore et je vois la rotation des planètes de ce système arbitrairement clos que l'on nomme "solaire". Je m'élève encore et embrasse maintenant d'un regard une myriade de systèmes planétaires, tous en adoration orbitale envers l'étoile centrale. Continuant mon mouvement, je note des amas d'étoiles si denses qu'ils forment des sortes de plages coruscantes dans l'océan nocturne, sables stellaires aux grains immenses. Enfin, j'aperçois le disque tournoyant et finement grainé de la voie lactée, en adoration orbitale autour d'un trou béant, voleur et probablement receleur de mondes. Et puis, plus loin, toujours d'autres disques, partout, à des distances inconcevables, qui tournent sur le gramophone gravitationnel de l'espace-temps. Au-delà, le voyage est plus fastidieux pour mon petit esprit, et les galaxies ont désormais la même taille qu'avaient auparavant les planètes, formant des amas séparés par le vide. Puis mon imagination se trouble, elle n'ose pas créer la suite, et mettre des images sur le vide. Comme si notre rencontre avec le réel n'était pas médiatisée par des images toutes aussi arbitraires et humainement façonnées que celles dont je pourrais accoucher. Il doit me rester encore un peu de ce conformisme qui fait que je peux vivre parmi vous, et dérouler quotidiennement toute une série de gestes qui sont autant de commandes incompréhensibles que j'honore pour je ne sais quelle raison.

Allongé sur un tronc d'arbre coupé, dans un bois public, je dérive toujours plus loin de la société et de sa sémantique absconse, de ses forces arbitraires qui nous lient en communautés. Je crois que jamais je ne reviendrai... On me parle de devoir et de responsabilités, on me parle de la vie en usant de définitions si précises que je m'interroge: peut-êtres que les atomes ont parlé? Peut-être nous enjoignent-ils d'avoir une économie compétitive, certains supportant la France (spin demi) et d'autres les Etats-Unis (spin un)? On me dit que la vie est un labeur et qu'elle ne peut être une fête, on le dit avec une telle assurance, la même que celle à laquelle je suis confronté dans chaque interaction qui s'avère finalement une bataille pour l'autre, on le dit tellement que je finis par douter... Moi qui chaque jour m'étonne du déséquilibre thermique que nous sommes, et qui s'oppose miraculeusement à la ferme emprise de l'entropie, peut-être que j'ai tout faux et que les autres savent eux... Le monde est un langage qu'ils comprennent parfaitement...

Allongé dans un bois, je me fous de tout et surtout du temps qui passe, du commencement de tout ça comme de la fin programmée. Et je plains ceux qui se sont assignés comme mission de me convaincre, supplice de Danaïdes... Je suis tellement loin maintenant, tous ces impératifs et ces règles que je ne vois nulle autre part que sur les torche-culs de l'humanité, ou bien que j'imagine bien planqué dans de trop nombreuses caboches... J'ai d'autres règles que je peux inventer moi aussi alors pourquoi m'en priverais-je?

Soudain, des gens passent à proximité. Je prends la peine d'arranger une mèche récalcitrante afin de mieux ressembler à l'idée que je me fais d'une certaine beauté concernant ma personne. Peut-être ai-je trouvé là mon ancrage ici-bas, dans ce narcissisme qui ne pourrait plus jurer avec mon détachement stellaire...

Je suis le barbare à demi, emportant avec lui, hors de la Cité, quelques conventions ineptes qui lui collent à la peau tel un mauvais parfum. Moitié dieu et moitié fou. Je ne vois pas ce que la société peut faire d'un type comme moi, qui peut passer des heures dans une voiture en plein été sans même penser à ouvrir les fenêtres, et encore moins à allumer la climatisation. Vingt secondes dans ma tête, voila le temps qu'il me faut pour oublier tous les brillants progrès de notre civilisation... Ramenez-moi au temps des chasseurs cueilleurs, sans machines à laver, sans lave-linge, sans téléphone et sans voiture, je vous paierais même pour cela. Je préfère une vie plus courte à ce long mensonge que je n'ai jamais pu avaler. Je suis foutu, déjà tellement loin, au coeur de l'océan, où les directions s'annulent et où la liberté s'ébroue de plaisir face à tous les possibles.

Allongé dans un bois, j'attends bienheureux, consumant le temps par un plaisir dépouillé, la fin du voyage. Je crois, tout de même, que j'aurais bien vécu...

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