vendredi 6 février 2015

Force brute

Je me souviens de planètes que je n'ai jamais visitées. Celle avec un ciel noir aussi épais que l'encre, un ciel si lourd que l'on pouvait sentir son poids au-dessus de nos têtes. J'ai marché sur la surface uniforme de cet astre, et je me souviendrai toujours du magnétisme qui régnait partout. Les arbres là-bas sont les objets parmi les plus fascinants qu'il m'a été donné d'observer et de sentir. Ce sont des arbres assez courts d'environ trois mètres de haut, avec un tronc régulier et de diamètre moyen surmonté par une intrication de branches formant vaguement une demi sphère. Des arbres de dessin d'enfants en somme. Mais ce qui est fascinant chez eux c'est leur matière: pure énergie, sorte d'électricité à la lueur mate, parfois d'un sombre luminescent. Ce sont des éclairs jaillis de l'écorce du sol et que le temps aurait pétrifié sur place. À leur proximité se fait entendre le vague bourdonnement d'un néon mal réglé, les poils se dressent sur votre peau, les cheveux s'élancent vers le ciel et l'on se sent pareil à ces supersaïens se surmontant eux-mêmes.

Jamais on n'en trouve plus de trois ou quatre réunis à quelques mètres les uns des autres, et pourtant, traverser ces ersatz de forêts est une expérience qui vous transforme à jamais. Toute cette puissance qui vous traverse et semble vous élever, vous disperser en tous points de l'espace. La force vous passe à travers et cogne contre les parois de votre être, faisant de votre corps une torche incandescente se consumant lentement, étendant la sensibilité jusqu'à la pointe de flammes invisibles.

Il faut assister au spectacle de cet entremêlement de branches lumineuses comme des éclairs, au scintillement sinistre sur fond noir de ces habitants solitaires. L'air autour est une frondaison énergétique et invisible émanant de l'intense majesté de ces lignes de forces mates, concentrées en elles-mêmes, nouées autour d'un axe catalyseur. Le halo électrique qui les entoure est sans couleur mais il semble brouiller l'air aux proches alentours, comme le sable chaud de nos déserts.

Jamais je n'oublierai l'énergie noire et disciplinée se ramifiant en branches compactes, faisant résonner en un bourdonnement régulier l'annonce d'une puissance enfouie qui sourde de la terre.

Je ne sais dans quelle galaxie ni même dans quel coin du vaste univers se trouve cette planète aux dimensions modestes, qui baignait calmement dans sa furie contenue, lui concédant par endroits ces incroyables percées énergétiques, sombres et brillantes, qui jaillissaient immobiles de la surface du sol.

Je sentis au loin, derrière moi, l'appel d'une autre présence, m'invitant à me retourner pour prendre la route. Nous nous étions ressourcés suffisamment longtemps sur cette force brute, il nous fallait continuer à visiter d'autres astres, il me fallait apprendre ces notes étranges imprimées sur la partition d'un espace inconnu. Autant de points d'appuis pour moi qu'il me fallait connaître afin de prendre position, bientôt, pour bander mon arc et pointer le bout de ma flèche le plus loin possible.

Nous partîmes alors et je compris qu'ils m'appelaient Arcifère. Je me suis retourné vers la présence mais n'ai pas gardé trace de leur apparence.

Je me souviens encore de ces arbres sombres où je me suis ressourcé, et de ce ciel si noir qu'il semblait couler sur nos têtes...

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