dimanche 3 mars 2013

Merci pour le vélo

Merci pour le vélo et ta patience dorée
Au moment de se souvenir, je me rends compte qu'on ne se connaissait pas tant que ça.
C'est ce qui est dur avec les silencieux, ceux qui n'aiment pas parler, les pudiques comme toi.
J'ai trop besoin des mots, de tout ce qui permet de lever le voile, de voir le coeur des gens.
Mais toi la vie t'as pris les mots, peut-être parce que tu ne t'en servais pas assez, ou pas comme elle voulait.
Quand ce dernier pont s'est écroulé, que le temps lui-même devint un fossé, inexorablement, nous nous sommes éloignés...
Je ne suis pas comme les autres, je ne m'attache pas au passé, ni au présent d'ailleurs, encore moins à l'avenir.
Je n'ai pas trouvé cela triste pour toi que tu partes, mais triste pour les autres.
La mort, personne ne sait ce qu'elle provoque, la cessation du corps, mais est-ce là tout ce que nous sommes?
Je n'ai pas de peine lorsque la souffrance cesse définitivement, lorsque la nature agit.
La peine, je la ressens face au temps qui passe et qui t'as dépouillé.
Je la ressens parce que je la reporte aussi sur d'autres, voire sur moi-même.
J'ai peur du temps qui passe et qui s'attaque à ceux qu'on aime, mais ce n'est pas la mort.
Pour les autres, je ressens de la révolte, pour moi un simple sens de l'urgence.
Je sais que ton départ provoquera dans la tête de certains l'image de leur propre mort.
Je ressens dans leur voix, le vide qui les aspire lorsqu'ils contemplent cette nécessité.
La mort n'est rien, j'aimerais leur dire.
C'est la déchéance qui cause du souci.
C'est de voir l'autre se débattre dans l'incompréhension et la crainte, de le voir suffoquer.
Je ne peux l'accepter.
La mort pour moi s'il vous plaît, mais pas ceux qui m'entourent.
Je me souviens tes larmes lorsque tout te ramenait à ta jeunesse enfuie.
Tu ne voyais plus qu'en toi les parties retranchées, que tu voyais en nous.
Ma plus grande peine est de ne savoir apaiser toutes les peurs.
Si j'avais pu te prêter mes yeux pour te calmer un peu...
Si je savais comment faire comprendre aux autres comme la mort est insignifiante.
Que c'est la vie déclinante qui nous heurte et qui nous vide comme une outre.
Si j'avais pu, te faire partir serein...
Tu m'aurais dit:
  -"On me vole! Ne vois-tu pas? On me vole!"
Je sais, j'étais témoin comme bien d'autres, comme toi-même.
C'est ce vol qui me révolte.
J'ai souffert toute ta vieillesse quand les autres ne souffrent qu'après la bataille.
Parce que quand les gens sont morts il est trop tard pour pleurer.
Aujourd'hui, pour te faire vivre quelque part, dans la mémoire des hommes, je garderai un souvenir.
Le souvenir de l'homme qui m'a appris à faire du vélo.
Je retiendrai aussi une leçon que tu m'as enseignée: la patience.
Il y a certains aspects de toi qui se retrouvent en moi.
Ta patience et ta lenteur, j'espère, se reflètent un peu dans mon âme et mes actions.
L'éternité, elle aussi est comme toi, patiente lorsqu'elle arrache les hommes à la vie...
Maintenant que tu es mort, le mal est réparé.
Tu vas mieux, j'espère...
Tu as passé ton purgatoire.

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