dimanche 31 mars 2013

Contre les religions

La religion ne devrait jamais se parer de la raison pour s'inventer une justification aux yeux des sceptiques. On peut facilement concevoir l'utilité d'une religion et de croyances solides sur lesquelles les pas mal assurés de l'homme peuvent se reposer, cependant vouloir mêler l'irrationnel au rationnel de manière voilée me semble une malhonnêteté intellectuelle impardonnable. Le meilleur service que l'on puisse rendre à l'homme qui regarde le monde à travers la lentille de ses croyances et qui en vient à les oublier, à les confondre avec la réalité même, c'est de l'amener fermement mais sans brusquerie à poser les mains sur son visage, afin de se rappeler que nos représentations passent malgré nous par le filtre de nos principes irrationnels, posés devant notre âme même.

Certes la réalité ne semble pas relever de la logique, l'existence, l'être, ne se laissent pas capturer par les mots, seuls quelques éclats fugaces restent retenus dans les mailles de notre langage. Cependant, nous avons les mots et la rationalité discursive afin de pouvoir explorer ensemble le territoire insondable de la réalité. Il nous faut poser des principes ou axiomes qui restent sans démonstration, les montrer comme tels, s'accorder sur eux, définir les concepts, et nous voilà engagés dans une discussion, voyant ensemble ce qu'est le monde vu de cette paire d'yeux. La logique de notre discours nous permet de déterminer ce qui est juste ou non dans nos propos respectifs, c'est pourquoi l'interlocuteur est indispensable et chacune de ses interventions constitue un barreau de l'échelle que nous montons ensemble. Les règles de la rationalité discursive définissent les règles communes d'un dialogue afin que, s'il nous arrive de trébucher sur le tapis de la pensée, l'autre soit là pour nous relever.

Il devrait donc être interdit à un Thomas d'Aquin d'utiliser la raison pour justifier l'existence d'un Bien et d'un Mal en soi, en voulant déguiser ces principes irrationnels sous les habits de la raison. Combien d'erreurs logiques dans son discours que d'aucuns s'efforceront de soutenir avec pour argument ultime, l'ineffable, l'irrationnel, avouant par là qu'ils nous abreuvent de leurs croyances en les enrobant d'une indigeste couche de ratiocination. Le Bien aurait engendré le Mal et les anges si parfaits, pourvus d'une connaissance des principes, sont libres de choisir entre le Bien ou le Mal à leur gré. On interrogerait alors comment, si le Bien est préférable au Mal, pourraient-ils ne pas le choisir du haut de cette connaissance des principes si parfaite? Ou encore, si Bien et Mal sont deux qualités différentes, sur quelle base se fonde leur valeur, quel troisième terme introduit-on pour déterminer quantitativement ce qui relève de l'ordre du qualitatif?

Le Bien et le Mal sont des notions qui n'ont de validité que dans un monde fini spatialement et temporellement. Pour juger d'une action, il faut ainsi juger du point de vue du monde comme totalité et seulement à la fin des temps. Dans le cas contraire, il n'existe que du relatif, à un contexte, à un moment, enfin à une subjectivité. En effet, qui peut dire et juger pour l'autre ce que l'effet de ses actes peut produire sur lui? Qui, en outre, peut prétendre comprendre et connaître tous les effets d'une action, ses répercussions sur la totalité de l'univers (à supposer un univers fini)? Pour une même personne, ce qui est bon dans un contexte donné peut ne pas l'être dans un autre. Chaque contexte constitue un système de données qui interagissent et qui, mises ensemble, donnent un sens à chaque élément du système. Ainsi, changer le moindre élément peut revenir à modifier radicalement le sens d'une action. C'est pourquoi l'amour peut être une force destructrice pour celui qui aime autant que pour l'être aimé. La haine peut donner à un homme l'énergie de défendre sa famille contre d'odieux crimes. La bonté, peut être ressentie comme une humiliation pour celui qui en fait l'objet. Un compliment peut faire basculer la vie d'un homme, le rendre hautain, instiller en lui l'esprit de compétition. Il est possible de multiplier les exemples à l'infini. Le Bien et le Mal apparaissent  ainsi comme de grossières abstractions géométriques d'un réel à la richesse par trop insondable. Quelle présomption que de penser savoir ce qui est bien ou mal à l'égard d'une autre personne, à l'égard du monde. Combien de vanité faut-il à un homme pour se persuader que ce qu'il érige en absolu devrait s'appliquer à chacun, combien d'aveuglement? Les totalitarismes sont nés de telles illusions, de la négation de la richesse d'un monde que l'on voudrait juger au prisme d'une individualité généralisée, étendue à tous. Heureusement, les religions de nos jours n'ont plus la soif des conquêtes qui bouillonne en eux et les pousse à imposer aux autres les murs de leur monde. Mais combien exclusive est la pensée religieuse, qui se persuade que celui qui n'est pas croyant, est dans l'erreur, sera puni dans l'au-delà? Cette même pensée qui parle de communion et d'amour du prochain mais qui pourtant ne se décide à tendre la main qu'à condition que l'autre accepte de se convertir. Quelle vanité peut aveugler autant les hommes qu'ils se persuadent de détenir la vérité, qu'il y a un absolu correspondant à leur définition et que le reste n'est qu'illusion?

Un autre exemple révélateur est le cas de la prière, pratiquée par les religieux afin d'être guidés, afin que Dieu leur donne la force d'agir conformément à ce qui est Bon, c'est qu'ils ne perçoivent pas la contradiction qui existe entre leur interprétation de la prière et le sens immédiat de cet acte. Ils prétendent être libres mais n'avoir pas toujours la force d'agir conformément au Bien, ainsi la prière est le moyen qu'ils ont afin que Dieu intercède en leur faveur. Mais de ce rituel on peut tirer deux interprétations immédiates et évidentes: soit l'homme n'a effectivement pas la capacité d'agir conformément au Bien par lui-même, et il est contraint dans ce cas d'aller puiser la force nécessaire au sein de Dieu, et alors il n'était pas libre dès le départ, ou d'une étrange liberté analogue à celle du nouveau né "libre" de se nourrir tout seul. Ou bien il possède déjà la force en lui et la prière n'est qu'un rituel lui permettant de trouver en lui ce qu'il ne savait trouver sans cet intermédiaire. Mais alors il est assez évident que la prière est un rituel interchangeable, auquel on peut substituer tout autre rituel pourvu qu'on croit suffisamment en lui. On pourrait tout aussi bien avoir une pensée pour la planète Terre ou encore prendre sept grandes inspirations et parvenir par ce rituel à mobiliser la force qui est déjà en nous. La plupart vous répondront qu'ils sont libres et que Dieu n'est pas hors d'eux mais en eux: "tu étais plus intime que l'intime de moi-même", faisant pencher la balance pour l'interprétation de la prière comme rituel d'accès à soi. Cette phrase, dans toute sa contradiction montre encore comment on tente de justifier l'irrationnel par la raison, c'est à dire ce qui devrait être reconnu comme une croyance indémontrable par un discours se voulant rationnel. Probablement les religieux auraient tout à gagner s'ils se rendaient compte que c'est eux qui agissent au final, et que le rituel de la prière est une manière pour eux de balayer cette représentation d'eux-même comme être faible et incapable d'agir en vue du Bien. Par la prière, ils se croient plus forts et alors le deviennent effectivement. Combien libérés ils seraient s'ils pouvaient concevoir qu'ils sont eux-mêmes leur propre Dieu, et que ce dernier n'est qu'un prétexte remplaçable afin qu'ils s'envisagent tels qu'ils sont: infiniment puissants. À ce communautarisme qui divise l'humain en désirant le réunir par la prétention à juger du réel, à s'arroger le droit de définir l'être selon un concept ultime, primordial, etc.; à tout ce vocabulaire de la domination, il faudrait opposer la lucidité et l'humilité nécessaire à ce que l'homme cesse de s'attribuer une quelconque connaissance sur le réel; le droit à tous de s'émerveiller ou non sur le fait que le monde existe et qu'ils sont

Mais l'homme a peur de se retrouver seul au monde, face à ses responsabilités, face au néant que l'infini rejoint dans un mariage des contraires. L'homme a besoin de faire allégeance, de faire confiance, qu'on le guide dans ses actions, dans ses pensées même. Je ne nie pas que la conscience de la solitude face au "silence déraisonnable" du monde n'est pas un poids lourd à porter. Et Pascal de dire: "Le silence éternel de ces espaces infinis m'effraie". Cependant l'homme a trouvé la force en extériorisant une part de lui-même, or c'est précisément en la réintégrant qu'il peut envisager sereinement l'existence dans sa liberté nouvelle (si tant est que l'homme puisse être dit libre). Ainsi dépouillé de toute autorité absolue, aliénante et qui plus est exclusive, l'homme peut alors s'appuyer sur ses semblables pour explorer le réel sans angoisse. Plus de communautés, plus de prétentions à la vérité, à des valeurs que l'on pose comme des universels afin de juger par leur prisme le reste des humains. Rien que des hommes qui cartographient le réel, l'être, et marchent d'un pas ferme parce qu'ils sont ensemble, au monde. Je crois, et il s'agit bien d'une croyance personnelle, que l'homme conscient d'être au sein d'une réalité dont il ne perçoit qu'une perspective sur ce qui s'avère être infini, peut alors se dépouiller de tout ego et voir en son prochain un allié, un refuge familier dont l'amour est à même d'ébranler les doutes les plus féroces. Il est temps de tomber les masques, d'abandonner les vieux mensonges qui ont pu servir un temps à élever une humanité encore jeune, mais qui doit désormais apprendre à marcher sans tuteur, ne se reposant que sur la force de sa fraternité. Voilà ma croyance.

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