dimanche 10 mars 2013

La mécanique vitale

Il m'arrive de voir la vie comme un simple système mécanique dans lequel on a introduit du mouvement. Chaque objet, chaque être n'existe que pour transmettre ce mouvement. Les forces de l'univers nous ballotent en tous sens, nous poussent les uns vers les autres puis la collision nous repousse dans d'autres directions et on s'éloigne alors, vers d'autres heurts plus ou moins heureux. La vie a horreur de l'immobilité, probablement car elle est tout l'inverse, que son principe est un mouvement sans fin, une infinie métamorphose.

Nous, petits humains, la voyons s'agiter en nous, éclater les barreaux des identités que l'on s'était peint comme des oeillères devant les yeux, pour ne plus avoir à penser qui l'on est, pour se reposer un peu. La vie me semble cette tension perpétuelle entre le mouvement et le repos, entre l'existence et l'éternité minérale. Elle est douloureuse. En nous, elle exerce une pression sur tous les carcans dans lesquels l'homme tend à s'enfermer consciemment ou non, jusqu'à ce que les gonds sautent, jusqu'à déchirer notre peau qui souhaitait délimiter un corps, un esprit, une identité.

La vie se joue des objets, des choses, elle ne connaît que le processus, elle ne s'embarrasse pas de souvenirs figés que l'on entasserait dans un coin pour en faire collection, elle ne conserve pas le passé dans l'espace du présent. La vie se crée à chaque moment par l'accouchement du présent par le passé. Ne nous y trompons pas: le passé est toujours là, sous une forme nouvelle. Nous sommes bel et bien faits autant que nous faisons. Il n'y a jamais dualité dans la vie car toute dualité se résorbe en une articulation et en un équilibre, la vie aime les contraires, c'est ainsi qu'elle fait le tour d'elle même, telle une planète qui, chemin faisant, opère sa révolution.

Je suis un processus de création; au contact de l'environnement, je crée une réalité, vibre selon une tonalité qui m'est propre et qui évolue sans cesse. Lorsque je crois faire, je suis fait parce que la base que je prend pour les fondements de mon identité n'est jamais figée, toujours changeante, en transformation, car quelque chose, le monde, s'exécute sur mon être. Lorsque je crois être fait, j'agis, je suis actif, produisant quelque chose, informant la réalité, mais il n'y a pas d'actif absolu et actif et passif se contiennent l'un l'autre, sont au final la même chose, tout au plus ce que l'on a pétrifié de deux moments distincts d'un mouvement continu.

J'ai l'intuition que la vie est ce voyage empli d'incertitude et d'indétermination, qu'elle est un émerveillement qu'il faut savoir prendre toujours sous deux faces: celle du spectateur, et celle de l'acteur. Il faut être conscient que l'on se laisse emmener mais que cet acte n'est pas seulement passif puisqu'il est aussi un choix, un assentiment, et donc est une volonté que nous renouvelons à chaque instant. Nous avons certainement besoin de temps à autre d'un rythme un peu plus lent que ce tempo effréné que semble parfois nous imposer la vie biologique, organique. Dans ces moments là, nous créons quelque chose, le mettons au monde, donnant forme à un morceau de matière sous la forme d'une oeuvre d'art. L'oeuvre est un jalon, un témoignage, une étape que nous voulons marquer avant d'aller plus loin, toujours vers l'inconnu, le frisson du départ.

La matière en effet est reposante tant elle semble aller dans la vie sans se presser, sans s'agiter sans cesse, avec sérénité et flegme. J'envie souvent la matière et je l'aime du plus profond de mon coeur car je la sais indispensable. La matière est l'altérité que l'effervescence de la vie cache parfois en nous mais qui est pourtant bien là. Nous sommes des poussières d'étoiles comme disent certains et j'éprouve un grand réconfort à cette pensée. Nous avons beau partir en tous sens, quitter notre passé et les peintures figés de notre expérience, il en reste toujours quelque chose, toujours cette matière qui semble si solide, si éternelle dans son extrémité de vie. Nous avons besoin de l'altérité, de la différence, parce que nous nous heurtons à elle pour avancer, mais ce n'est jamais à quelque chose de totalement étranger que nous nous heurtons, nous savons au fond que c'est à un développement de ce que nous contenons en nous, une évolution ayant pris un autre chemin, possédant sa propre révolution.

L'altérité que nous vivons partout autour de nous (et en nous aussi) nous rappelle à chaque instant que nous pouvons être tout, qu'au fond tout cela n'est pas grave, qu'il ne faut rien regretter, qu'il ne faut surtout pas chercher à savoir, ou plutôt qu'il n'y a pas de choses sues, car la connaissance est un mouvement qui ne s'arrête jamais. Plus tard, lorsque je retournerai poussière, peut-être que je serai une partie d'un arbre, ou bien même encore d'une porte, peut-être que j'irais dans l'eau et que je serai bu. La vie est un passage temporaire dans une forme relativement stable en apparence et qui file pourtant à une vitesse...

Je voudrais terminer par énoncer une chose qui me semble importante et qui me tient à coeur: tout ce qui n'est pas nous demeure pourtant le reflet d'un temps possible. Et l'altérité qui nous semble la plus extrême est toujours la possibilité de notre existence et je veux rappeler ici encore une fois à quel point j'aime la matière, et que jamais je ne la distinguerai de la vie même. Tous les rythmes sont miens, toutes les formes sont mes possibles et dans mon voyage, c'est tout l'univers que je rencontre.

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