vendredi 8 mars 2013

L'être et le néant

Sur le chemin de la sagesse, la route est le pensé (et le pensable), le mouvement est la raison et l'horizon est la vérité. Certes nous découvrons bien des aires de repos, pour ainsi dire à chaque pas, qui sont bien agréables, et nécessaires, à la raison qui voudrait parfois y mourir. Mais s'il y a repos, c'est qu'il y a mouvement, et inversement. La vérité est donc cause du mouvement et du repos, elle est cet au-delà de l'imagination, ce que nous mettons devant nous pour justifier l'errance de l'existence. S'il n'y avait pas d'horizon, comment appellerions-nous le temps et le lieu vers lequel nous avançons? S'il n'y avait pas de direction, ou de sens, comment saurions-nous si nous avançons ou reculons, et quelle raison aurions-nous d'aller? Nous avançons vers l'espoir, nous dévorons le temps et l'espace, certes, mais à la recherche de quoi au juste?

Et si la vérité était sans attributs et qu'elle n'avait de propriété que d'advenir?

Notre langage même est une tentative de dire cet être avec, semble-t-il de prime abord, ce qui paraît ne pas être. Croyant ainsi placer les ténèbres du néant autour de l'être, nous espérons voir jusqu'où ce dernier rayonne et quelle peut être sa forme. Mais à chaque tentative, l'être éclabousse tout de sa clarté, ne laissant subsister que lui-même en toutes directions, repoussant le non-être jusqu'aux frontières de notre imagination qui, à son tour, le fait fuir à peine fait-elle un pas vers lui.

La vie est le monde. Là où la vie n'est pas, le monde n'est pas. Or l'imagination elle-même est la vie (une forme de la vie) et fait ainsi en sorte que tout ce qu'elle éclaire, tout ce qu'elle est advient, d'une manière ou d'une autre.

Il s'avère ainsi que les ténèbres que nous avions apportées n'étaient pas le néant, ou non-être, mais elles n'étaient que notre ignorance et cette peur du silence qui nous caractérise.

En tant qu'être vivant, nous portons la vie partout où nous sommes, nous la répandons en actualisant les possibles, en faisant advenir. Dés lors que nous l'avons pensé, dés lors que nous l'avons senti, le monde existait. Mais c'est bien notre voyage, notre être advenant, devenant et étant qui nous a révélé son existence, et rien d'autre.

C'est probablement l'enseignement le plus marquant de la physique quantique: le monde est ce que nous en faisons car il est tel que nous le voyons, devient sous notre regard et il épouse même les possibilités que nous lui configurons.

Sommes-nous le monde? Faut-il s'abandonner à ce curieux solipsisme? Serions-nous tous des dieux, par la vie qui rayonne en chacun de nous? Dieu n'est peut-être pas ce que nous imaginons, mais ce que nous imaginons pourrait bien être Dieu.

Peut-être qu'être artiste c'est piéger le non-être au sein même de la vie. Car le possible naît de la collision de l'être et du non-être qui n'est, en somme, que celle du possible et de l'actuel. Or qui peut bien nous dire ce qui est possible? Nous ne le savons généralement que lorsque nous créons le possible, quand nous l'actualisons. Ainsi nous ne pouvons véritablement rien dire du non-être et ce que nous en disons ne consiste qu'en la forme, vague et incertaine, que prend la lueur de l'être là où il s'éteint, aux confins de la pensée.

Le non-être c'est l'être qui renonce à aller plus loin, à regarder au-delà de lui-même; qu'y aurait-il à voir d'ailleurs sinon lui-même...

L'être et le non-être sont deux manières de parler de la vie, tout comme la nuit et le jour sont deux formes d'expressions de la lumière.

Nous sommes bel et bien des dieux.

Le non-être est tout ce qui n'est pas.
Il faut bien comprendre que l'être est au moment même où il est dit, où il est [*].
L'être est l'inspiration, le non-être l'expiration (ou inversement): au moment où l'un est, l'autre n'est pas, l'un est la limite de l'autre.

Ainsi les deux sont des totalités.

La vie est ce qui naît de ces deux totalités, elle est une alternative (à l'éternité?). La vie est l'indétermination du déterminé ou la détermination de l'indéterminé.

La vie est l'étreinte d'une dualité, l'accouplement de deux absolus.

Elle est médiation entre deux immédiats.

Dans cette capacité (ou propriété) de la vie à déchirer le non-être réside l'aptitude à créer.

La vie créée parce qu'elle fait être le non-être, elle ordonne le chaos (et se laisse ordonner par lui), ainsi, chaque fois qu'elle advient, une réalité nouvelle et imprévisible naît. Elle est la transition du non-être à l'être, de l'être au non-être, la vie est une aurore se faisant.

C'est en faisant être ce qui n'était pas que le nouveau advient, devient, naît, car de l'être suit un étant prévisible, mais du non-être, rien de prévisible ne peut advenir.

Et c'est ainsi cheminant, vers son propre horizon lointain, que la vie s'arrache à chacune des éternités figées que sont l'être et le non-être, à ces deux totalités mortes, pour réaliser la miracle du mouvement qui embrasse toutes les éternités possibles, en les consumant l'une après l'autre, sans arrêt. C'est pour cela que je nomme la vie l'éternité des éternités, une méta-éternité, en somme une éternité éphémère.

Aucun commentaire: