dimanche 31 mars 2013

Contre une ontologie verticale

Plus je lis de philosophie et plus je suis contraint de placer cette "science" sur le même plan que les religions. L'ossature même de la philosophie est constituée de penseurs dogmatiques qui sont tous partis de principes a priori, en tentant de les noyer sous le raisonnement pour ceux qui en étaient conscients, ou en devenant dupes d'eux-mêmes pour les autres. Mêmes les grands philosophes sont tombés dans ce piège, bien qu'il y ait des exceptions. Ainsi le projet de la métaphysique, telle qu'elle a été entreprise au cours de l'histoire de la philosophie, a été d'atteindre "le réel le plus réel", les principes même de tout ce qui est. Non content de cela,  les philosophes se sont persuadés que certains principes étaient primordiaux, absolus, et ont construit une ontologie verticale, partant du pur et de l'absolu, en descendant vers le secondaire et le non originaire. C'est ainsi que les épicuriens basent leur physique sur le principe de l'atome et du vide, faisant du temps un simple effet du mouvement des corps. Pour parler en terme plus modernes, on peut dire qu'ils fondent leur ontologie sur la matière comme premier principe fondamental (incluant le vide), puis le temps vient en second, relégué au rang "d'accident d'accidents". Bergson prendra le contre-pieds de cette ontologie en réduisant la réalité à la durée, faisant de la matière un certain rythme de durée. D'autres, érigent l'être en principe primordial et originaire. Mais parmi la relative diversité (relative car elle n'est pas si importante) de ces ontologies, ce qui frappe l'attention c'est l'aspect hiérarchique de l'organisation du réel par les philosophes. Il font toujours remonter leur métaphysique à un principe ontologique primordial, transcendantal, se plaçant au sommet de la pyramide de l'être.

Force nous est de constater qu'il est possible de réduire le réel à ces deux abstractions que sont la matière et le temps. Ils semblent être les principes par lesquels nous saisissons rationnellement ce qui est. L'être lui même étant le principe de ces principes. Cependant, il semblerait étonnant de faire de l'être un principe supérieur ou antécédent à la matière et au temps puisqu'il en est constitué. En effet, comment l'être existerait-il si, ni le temps ni la matière n'existait? Que pourrait-il alors bien être? On peut aussi s'interroger, sur la possibilité d'existence d'un temps pris séparément de la matière. Si l'on place la durée comme réalité ontologique première, il nous faut dès lors imaginer une durée sans matière, est-ce seulement possible? L'inverse est aussi vrai, peut-on raisonnablement envisager de la matière sans une durée? Le fait même de penser une matière et de se la représenter implique que la pensée et la représentation s'inscrivent dans une durée. Ainsi, il semble pertinent d'opposer à toutes ces ontologies verticales une ontologie horizontale, comme a pu le faire Spinoza avec la substance et les attributs de la Pensée et de l’Étendue  Il apparaîtra alors que l'être se constitue à partir de la matière et du temps dans un système synchronique dont nous ne tenterons pas de faire la genèse. Cette synchronicité est importante puisque c'est elle qui supprime toute préséance d'un principe sur l'autre, il n'y aura plus alors de pertinence à penser un "premier principe". L'être naît de l'interaction entre la matière et le temps qui s'appuient l'un sur l'autre pour être. Chaque principe étant ainsi posé sur le même plan, on peut les voir comme des valeurs saussuriennes, se définissant par un rapport de chaque élément avec l'ensemble des éléments. Ainsi la totalité de l'être n'est définie qu'avec tous ses constituants dans un rapport d'immanence et de réciprocité.

Une telle ontologie aura pour mérite de s'affranchir des velléités absolutistes qui visent à trouver la Vérité du monde, le premier principe de toute chose, en instillant toujours la valeur dans ce qui n'apparaît au final que comme des qualités différentes dont nulle monnaie autre que notre propre jugement arbitraire ne peut exister. Il me semble ainsi possible de partir sur des bases plus saines qui ne consistent plus en une compétition entre philosophes pour savoir qui aura trouvé la réalité la plus transcendantale que les autres, mais de fonder une philosophie qui se veut un dialogue entre les pensées, une exploration de l'être dont les philosophes sont les cartographes qui arpentent une réalité infinie. Nul point sur cette réalité ne brille avec plus d'éclat qu'un autre et chaque lieu visité est une victoire de plus de l'homme sur lui-même, un dépassement de soi rendu accessible à tous.

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