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jeudi 17 janvier 2013

Ce rien qui peut être tout

Plus je vis, plus je vieillis, plus j'apprends, du moins j'amasse l'expérience qui me permet de construire quelques vérités éphémères, enclavées dans leur lieu et leur instant. En voici une que je veux partager.

Si peu de choses en l'homme sont naturelles. Il n'y a pas jusqu'à la nourriture qui ne soit artificielle en nous. Je constate ainsi aujourd'hui que l'écriture est devenu le rythme biologique de mon âme, si je puis m'exprimer ainsi. Or tout cela au bout de combien de temps? Combien d'acharnement quotidien m'aura-t-il fallu pour me créer ce besoin vital ô combien factice. Pourtant, c'est avec peine que je demeure quelques jours sans écrire: j'observe mon esprit suffoquer, je suis témoin de sa mise à mort, ce 'moi' que j'ai durement crée est d'une complexion si fragile que seule une respiration artificielle peut le maintenir en vie.

Je me suis forgé, comme un métal, je me suis fondu dans un moule et je me suis travaillé, affûté. Tous font cela, ceux qui ont dédié leur vie à produire des oeuvres; tous ont dû faire de la technique leur élément naturel, un prolongement d'eux-mêmes. Nous sommes les enfants de la technique, les élus de Prométhée. Notre métabolisme est façonné par la technique (estomac, dentition, jambes, etc.) et mieux encore, notre esprit, lui-même, est une technique. Je me vois écrire, comme s'il s'agissait de converser avec le néant, aussi naturellement que l'on pense. Mais je sais, au fond, ce qu'il en a coûté, ce qu'il en coûte et coûtera encore, probablement l'ai-je toujours su... La différence aujourd'hui, c'est que je l'accepte. La technique au sens large, devenue ce cadre d'expression, d'existence même, est cet univers qui nous enferme en lui. La liberté n'a pas de sens sans frontières et le fini n'a pas de sens sans l'infini.

J'aimerais revenir en arrière et dire, dans le grec ancien le plus pur, à cet immense Platon dont se moquait Diogène: "J'ai trouvé l'homme!". J'ai trouvé l'homme dans la technique. Ce qui en fait cet être fabuleux dont tout le monde recherche l'essence, c'est cet existence en puissance, promesse de toutes les actualités. Voyez vous-mêmes, il existe une technique pour tout, il existe même des techniques de techniques. La technique c'est ce rien qui peut être tout. Ne reconnaissez-vous pas dans cette définition, ce "bipède sans plumes" que vous êtes?

mercredi 16 janvier 2013

Engagez-vous

Décidément, vous êtes comme la glu, tout ce qui vous a touché, vous ne le lâchez plus...

Il m'a suffit une fois, une seule, de prendre votre main, et encore, malgré moi, d'accepter votre danse où chaque pas appelle le prochain, où l'on n'a finalement comme choix que celui d'être bon ou mauvais... Une fois et voilà que je ne peux plus m'arrêter, c'est trop tard, tout comme ce philosophe anglais avait coutume de dire: "La vie est une course, abandonner c'est mourir".

Mais moi, je ne voulais pas m'engager, seulement goûter l'instant, les joies du moment puis repartir aussi vite, fidèle ami du vent. Il est peut-être là le péché originel: la pomme c'est la société des hommes et la goûter est le plus grand des fléaux, on ne s'en remet jamais. Après, c'est la Cité, la politique comme ils disent. C'est la violence de tous contre tous, chacun sachant mieux quel est le bonheur de l'autre, chacun voulant mieux imposer sa croyance, en toute promiscuité, en toute impunité.

Mais il ne fallait pas naître mon vieux, là est tout le problème. Aujourd'hui tu nais un pied dans la société, plus rien à faire, tu lui dois tout, de toute façon elle t'a fait... Et que répondre à cela? La société n'est supportable que seul, absolument seul, spectateur de tous.

Mon avis, si vous le voulez, mon seul conseil: lorsqu'on vous propose une course, une collaboration, ou même qu'on vous parle: refusez sans un mot et faites vous oublier. Surtout méfiez-vous des mots; car ici bas, les mots sont des actes et vous engagent pour la vie, et vous ne voudriez pas être engagés pour la vie n'est-ce pas?

mardi 8 janvier 2013

Dissertation

Le moment est tendu, l'attention se concentre sur le rectangle blanc mais les yeux sont fatigués alors la vue se brouille un peu. On a l'oeil qui bat, signe d'un manque de sommeil, maintenir les contours des objets sur lesquels notre regard se fixe est une lutte face à soi-même; ce soi qui souhaite tant se disperser dans le néant. On inspire fort, on se concentre sur la respiration, puis sur les autres sens, on se donne au présent par tous les moyens. On parcourt l'objet du regard, on tente de synthétiser ce qu'on vient de voir en parties distinctes, claires, et qui s'enchaînent de façon logique. On parvient à créer quelques blocs solides dans ce flux confus, puis on détourne le regard, tout s'enfonce lentement dans l'oubli. On reprend notre observation, et cette fois on tente de repérer une seconde fois les formes que l'on vient tout juste d'esquisser par notre intellection. À mesure que notre regard scrute d'autres parcelles de l'objet, les jalons que l'on avait posés se perdent dans la brume, se contredisent, évanescents fantômes; mais tant pis, on fait tout pour les maintenir solide et consistants, on les recrée à chaque instant, chaque moment est un surlignage de ces formes fragiles.

Puis vient le moment où l'on offre ses yeux au vague, à la confusion de l'inattention, on rentre en soi même pour y contempler les traces que la réalité y a déposée. On dessine à une vitesse ahurissante les contours de ces formes que sont les représentations mentales induites par l'objet observé. On lie plus solidement chaque forme avec l'autre en essayant tant bien que mal d'imprimer au tout une dynamique solidaire, on en éprouve les liens, chaque maillon doit être solide: chaque portion de l'objet doit être portée par ce mouvement. Mais la fatigue est là, qui nous contraint à repasser encore et encore sur les limites ainsi tracées, à emprunter le chemin sans cesse, jusqu'à que les formes mises en lumière demeurent dans l'esprit par un effet de rémanence. On se contemple soi-même, la part de soi qui s'est emparé de l'objet d'étude, formant ainsi cette entité hybride qu'il faudra désormais matérialiser pour qu'elle se réalise en acte, pour que la plus-value que nous apportons à la chose prenne pied dans l'existence du réel.

Parallèlement à ce frénétique va-et-vient de l'esprit entre les formes mentales qui sont le reflet interne de l'objet extérieur à nous, commence ce ballet incessant et minutieux du poignet qui s'agite. Par de subtiles mouvements contrôlés, le poignet imprime à la main qui lui fait suite un mouvement plus fort, centrifuge. Le fouet de la main trace dans l'air de fines arabesques et tient du bout des doigts cette curieuse tige qui semble se dissoudre lentement sur toutes les surfaces qu'elle caresse. Les muscles du dos de la main sont les plus sollicités, ils tressaillent d'impatience, voudraient épouser l'alacrité de l'esprit mais jamais n'y parviennent. Le corps ne pouvant rattraper son retard dérape, la danse manuelle perd de son harmonie et de son rythme, la machine s'enraye brièvement. C'est alors que l'esprit ralentit son débit, s'adapte à la lenteur de la matière et à son propre rythme de durée, lent, laborieux. Le curieux objet continue de perdre son âme sur les formes rectangulaires gisant sous sa pointe, il étale la vérité qu'on lui dicte, donne sa vie et sa substance pour cet acte de bravoure involontaire. La volonté est ailleurs qu'en lui, elle compose avec son poids mort, se nourrit de son sacrifice.

L'esprit réexaminant un à un les compartiments de cette locomotive qu'il a d'abord crée puis à laquelle il a transmis son mouvement, s'aperçoit, à mesure qu'il s'appesantit sur les détails, qu'il a laissé des zones d'ombres, sans contours et qui sont autant de gouffres vers tous les possibles. Il trébuche, tombe, et menace de sombrer totalement dans ces véritables pièges qui surgissent sous ses pas. Mais l'esprit s'accroche, reprend appuie sur ce qu'il a solidement délimité et s'attache à matérialiser une surface assurant la continuité entre ces zones ignorées, déchirées par le néant. Il fait d'abord le tour de l'abyme, lentement, puis recommence son tour plus rapidement, et encore, et encore, accélérant toujours plus, jusqu'à ce que sa vitesse soit telle qu'il se trouve partout autour simultanément, donnant ainsi de la substance à ce qui n'en avait pas, rongeant l'oubli, remplissant la vacuité d'une existence pleine. Il resserre peu à peu son cercle, la forme a repris son unité et sa plénitude, la voilà redevenue contenant hermétique, renfermant on ne sait quelle mystère mais un mystère tangible, avec des frontières.

L'opération se répétera alors, maintes fois, pendant plusieurs heures. L'esprit peinant à contenir son excitation, son désir d'explorer, souhaitant s'élargir, s'ouvrir à l'horizon mais contraint malgré tout par la volonté et l'attention de garder son cap, de polir son oeuvre sans s'en détourner. Le poignet n'en peut plus, et la main se fait douleur, les muscles parvenant de moins en moins facilement à se coordonner à l'esprit. L'effort se fait plus dur, et l'esprit doit redoubler d'énergie, accentuer sa pression sur tous les fronts, en lui-même et à l'extérieur, pour contraindre la matière et l'informer comme il se doit. Mais la main menace de s'effondrer, la voici qui brûle, les muscles tétanisés, à bout de souffle. Le grand ordonnateur lui accorde quelques secondes de répit, et en profite pour ralentir la cadence de son introspection. Il se braque vers l'ailleurs et l'autre, se met en roue libre; puis, soudainement reprend la course, éprouve d'abord les réserves du corps et s'aperçoit que la douleur est encore supportable; plus que quelques minutes...

Lorsque le bout de la chaîne est atteinte, que l'on a redonné vie à l'objet examiné, d'abord en soi-même, puis dans le monde sensible où on l'a métamorphosé, transfiguré, l'esprit ordonne au corps de retenir son souffle; le temps de scruter une dernière fois l'ordre des derniers filets du stylo. Il veut éprouver l'effet de sa chute, de sa conclusion, cette dernière phrase qui donne l'essence de l'objet étudié. Puis il laisse la carcasse expirer l'air trop longtemps contenu, comme on laisserait brouter un canasson après la cavalcade. Il lui donne quelques caresses, flatte son encolure, se retourne pour jauger du chemin parcouru, inquiet mais satisfait. Voilà, c'est fini, on vient de faire une dissertation.

dimanche 6 janvier 2013

Le monde tel qu'il est

Quand je marche sous la nuit les secondes ne sont ni éternelles, ni éphémères, ce sont juste des secondes voilà tout.
La clarté de la lune n'est ni blafarde ni bienveillante, elle est un défilé de photons qui heurtent ma rétine.
Le mouvement de mon corps n'est ni mélancolique ni gracieux, c'est juste une masse de matière qui s'achemine vers son futur.
L'air n'est ni frais ni doux, tout juste a-t-il une certaine température qui reflète l'agitation des molécules et l'énergie ambiante.
Le bruit de mes pas n'est pas lugubre, ni harmonieux non plus, c'est la vibration dans l'atmosphère de l'onde de choc causée par mes semelles sur l'asphalte.
Je mentirais si je vous disais que mes intentions sont bonnes, ou même mauvaises d'ailleurs, je vais là où mon dernier appétit me guide, par une nécessité que j'ignore.
Les gens que je croise n'ont pas le regard méfiant, encore moins chaleureux, ils fixent leur regard vers mon corps qui se meut et portent sur leur visage leur sentiment du moment.
Cette femme qui s'en va n'est ni laide ni vraiment belle, elle dessine dans l'air sa géométrie propre, la silhouette de son enveloppe charnelle.
Il n'y a pas de sens caché à mon message, simplement le fait d'écrire les idées qui me parcourent.
D'ailleurs vous ne comprenez pas ce que je dis mais plutôt ce que vous lisez et qui n'est rien d'autre que votre jugement, ce que vous mettez sur mes mots.
Enfin, il n'y a pas d'enfin, car il n'y a pas de fin à tout cela, juste mon mouvement qui se transforme en un autre et le vôtre qui se détourne de son motif passé.

Pas mieux ni moins bien

C'est la nouvelle année, il me faut absolument écrire, reprendre goût à cet effort, cette ascèse tournée vers l'avenir. Ecrire, ce n'est pas comme la musique, pas tout à fait. Lorsqu'on joue, on reçoit immédiatement les effets, et de trilles en croches, on ressent ce que l'on crée. Ecrire ne procure aucun plaisir. Ecrire c'est bâtir, patauger dans la gadoue des fondations, voir quelques parpaings inesthétiques s'aligner, s'empiler peu à peu pour former une cloison: un mot, une phrase, un paragraphe, tout est à faire... À la limite il y aurait bien la poésie qui s'approcherait plus ou moins de la musique en ce qu'elle, mais ce n'est pas toujours vrai, ne diffère  pas trop le plaisir d'écrire et celui de ressentir. Je crois même que c'est pour cette raison essentielle que j'ai tant de mal à écrire des romans, je n'ai pas l'âme d'un maçon, il faut qu'écrire soit comme une marche, un mouvement dans lequel le premier pas contient déjà tous les autres, tout le plaisir d'aller, dans toute son intensité. J'écris comme je marche et non comme on bâtit. Ce n'est pas mieux, ni moins bien, c'est juste moi, dans cette parcelle de temps présent qu'a produit mon passé. Ce n'est pas mieux ni moins bien, cette phrase je n'ai pas fini de vous la répéter...

jeudi 29 novembre 2012

Féeries soliptiques

Une véritable chasse que de courir après ces pensées évanescentes, toujours impromptues, jamais là quand il faut. Ça vous prend dans le bus, en regardant les gens, en regardant dehors, en regardant l'autre et son altérité rassurante. Ça vous prend en marchant, quand vous n'avez pas de quoi noter, quand vous êtes à vous-même, pur et profond, sans médiation. N'essayez même pas de reprendre le fil en rentrant chez vous, fiévreux d'impatience à l'idée de coucher tout cela sur le papier, ça ne marchera pas. Au pire vous pisserez quelques phrases malingres et vulgaires de vouloir paraître trop belles, vous vous ridiculiserez. De toute façon la belle pensée est partie depuis longtemps, elle est restée dans la rue, sur le parking d'un centre commercial, dans un Spar de banlieue sale et mal fréquenté, entre la porte d'entrée et la caisse enregistreuse.

Combien d'artistes génialissimes avez-vous croisé dans votre vie, combien d'oeuvres spectaculaire et grandioses qui sont restés cachées dans leur boîte crânienne  juste derrière le rideau des yeux et le masque du visage, devanture décalée et sans rapport aucun avec l'arrière-boutique? Juste parce que les artistes n'avaient pas le coeur à planifier le spontané, à mettre en scène la beauté de leur nature intrinsèque. À quoi bon? Gagner sa vie, ramasser quelques miettes ou même le gros lot, tant d'efforts pour tant d'incertitude. Un genre de prostitution indigne, on préfère aller travailler tous les jours, souffrir avec le reste des humains et puis garder en soi jamais bien loin, notre petit chaos interne, une "étoile qui danse".

La prochaine fois que vous croiserez quelqu'un avec le visage triste ou heureux, concentré ou rêveur, beau ou laid, pensez-y. Imaginez quelle sorte de trésor se cache derrière, en coulisse, bien à l'abri des regards indiscrets et surtout de ces gens imbus qui pensent, mais ne l'avons-nous pas tous fait au moins une fois, avoir saisi votre essence par un simple coup d'oeil à votre allure, à votre faciès, à votre air enfin. Ces gens qui se repaissent de gloses, de critiques en tout genre, qui partagent leur âme, leurs culs, qui mangent ensemble, baisent ensemble, ne parlent que de ce qu'ils projettent sur le monde, se félicitent, s'admirent, s'échangent un ersatz d'amour frelaté afin que leur coeur batte encore un peu dans leur poitrine froide. Ne parlons pas, s'il vous plaît, de leur esprit glacé. Ils ont tout sorti à l'extérieur par manque de confiance, besoin d'être rassurés, évalués, appréciés, pour savoir un tant soi peu quoi penser d'eux... Tout n'est pas noir non plus, ils arrivent à produire du beau parfois, les hommes se sont construits sur certaines illusions et ils y croient tellement, qu'elles se mettent à prendre forme, réellement, dans la matière même de l'univers. C'est à cette pâle lueur que ces gens là s'éclairent, il ne faut pas leur en vouloir.

Bon, aller, je retourne à mes féeries soliptiques, on se croisera peut-être, au détour d'une rue, dans les intestins fétides d'une ville hautaine, ou bien encore dans la quiétude hirsute de nos campagnes enclavées. On ne se reconnaîtra pas, vous ne verrez en moi, comme je ne verrez en vous, rien d'autre qu'un visage et qu'un style porté comme un costume. Vous serez convaincu alors qu'il s'agit bel et bien de la délinéation de mon âme et vous penserez sûrement, à juste titre, et au fond on en restera là vous et moi: "L'a pas l'air fin cui-là avec son regard bovin". Je continue ma route.

mercredi 28 novembre 2012

Sub Specie Aeternitatis

Tu as dit avoir vu en moi un génie. Un jour du passé, un jour de l'enfance, et c'est pourquoi je m'étonne aujourd'hui de tes propos.

Qui étais-je alors, moi-même ne le sait. Petite pointe émergée d'une conscience enfouie et promise à se révéler. Tout juste une petite promesse et Dieu sait que les gens ne tiennent pas compte des promesses, si ce n'est quand elles sont tenues. Alors tu as vu, ou cru voir, une petite promesse en moi, une promesse d'une autre époque, ni passée ni à venir, simplement d'un autre temps, d'une autre galaxie, d'un monde où tout est possible...

Et moi, je ne suis rien devenu, je ne me suis pas cristallisé dans un de ces merveilleux bijoux que la société enfile à son collier. Rien, tout juste une promesse faite au vent, aussitôt dite, aussitôt enfuie. Je cours après le non-être ou plutôt un genre d'absence de détermination. Non ce n'est pas encore ça: je cours après le droit de dire non, le droit de rester neutre, en-dehors, spectateur de vos opinions, de vos jugements et de vos rêves.

J'avais plein de choses en tête, mille choses à dire avant de m'asseoir face à l'ordinateur et de m'atteler à incruster en lui, dans sa mémoire numérique (mais ne le sont-elles pas toutes?), toutes ces belles pensées qui me traversent. Mais voilà, je me trouve face à la page qui attend et alors tout mon être se rétracte, je rentre les antennes, je me réfugie tout entier dans ma coquille, je me ferme au monde. À croire qu'il n'y a vraiment qu'à moi-même que je sache parler... Non, je ne pense pas que ce soit cela le problème. En fait, je pense que toute médiation, dans la contrainte formelle qu'elle impose me rebute. Je suis définitivement retors à toute contrainte exercée sur ma personne. Vous me direz que parler, quand bien même il s'agirait du "dialogue silencieux de l'âme avec elle-même", est aussi une forme de contrainte: il faut formuler ses pensées à l'aide de la langue. Oui mais alors cette opération est tellement naturelle aujourd'hui, et d'ailleurs peut-on seulement dissocier pensée et langage, qu'on pourrait presque dire que lorsque je pense, il s'agit de tout mon être qui se projette dans les mots, qui s'y incarne.

Mais pardon, je dévie du sujet. Une promesse donc... Oui, probablement, comme toutes les âmes ici-bas le sont, mais j'ai la particularité d'être une promesse de tout, vous savez, tout, cette envers du rien? Mais attention, il n'y a qu'à moi que je promette tout, aux autres, je préfère m'abstenir de toute obligation.

C'est fou comme toute action me vide l'esprit. Ou plutôt comme toute action consistant à extirper de mon cerveau (ou de mon âme pour les quelques spiritualistes) ce qui se passe habituellement en coulisses me coûte, me laisse exsangue. Je suis tout entier focalisé sur l'acte, ou pire, sur le résultat, que je ne sais même plus par où commencer. De toute façon tout va trop vite là-dedans, comment retranscrire ses propres pensées? Même lorsque la pensée est lente et fluide, qu'elle avance comme un tank sur les chenilles de la raison, elle reste difficile à mettre au monde. Tout simplement parce que toute pensée même simple, dans ma tête, s'accompagne toujours d'un halo de pensées naissantes, afférentes, et qui telles des racines indiquent la source mais aussi telles des branches indiquent toutes les ramifications possibles, tous les liens utiles. Dieu qu'il serait fastidieux, voire impossible, de poser tout cela sur le papier. À peine je m'attacherai à sortir une petite partie de l'ombre, que j'aurais déjà oublié tout le reste ainsi que tous les prolongements qui vont avec, et ainsi de suite, et cela à l'infini.

C'est frustrant, réellement... J'aimerais vous inviter dans ma tête. Oh il y en aurait pour tous les goûts, c'est certain. Mais ce qui me ferait le plus plaisir, c'est de vous faire ressentir le plaisir qu'il y a à planer sur la chaîne d'un raisonnement, à se laisser porter et contempler le monde sur le train de la raison. On ne s'arrête jamais, le paysage est sans fin et tout va tellement vite que l'univers entier est desservi, parfois même, on se retrouve dans plusieurs endroits à la fois. Comme tout s'éclaire, comme le monde retrouve son unité perdue, ses vertiges insondables qu'on se promet d'aller sonder un jour ou l'autre. Et dans ce tour de manège infernal,  on sent jamais bien loin, le regard de la folie, le regard de l'absurde.

Je ne sais pas ce que les gens voient en eux. Je me demande aussi de temps en temps ce qu'ils peuvent voir en moi. J'aimerais qu'ils me laissent tranquille, qu'on puisse parler des idées sans y mêler sans cesse nos propres identités égoïstes et inintéressantes. Stop! Je n'ai rien à voir avec le sujet leur dirais-je. Mais il faut sans cesse prendre des gants, c'est comme cela avec les egos, ça se blesse facilement. Alors on explique encore et encore, toujours les mêmes choses. À croire que les gens n'aiment pas sortir d'eux-mêmes, il faut qu'ils ramènent tout à des questions de pouvoir et de domination, celle des uns sur les autres. Ce ne sont pas des idées, ce sont leurs idées, ou mes idées, ou celles de Spinoza tient, ou qui sais-je encore?

Mais la raison c'est comme un instrument, je ne saurais dire cependant s'il en sort de la musique lorsqu'on s'en sert mais ce qui est sûr c'est qu'elle dessine un univers, comme la musique peut le faire dans sa temporalité sublime. Moi, et oui je parle de moi là, je joue de la raison et comme en musique, le résultat n'est jamais une création ex nihilo que je pourrais croire mienne. Oh si, je pourrais la croire mienne, avec une dose suffisante d'aveuglement et d'ignorance qui s'ignore, si je n'avais pas suffisamment persévéré dans mon voyage noétique. Mais non, ce que produit la raison, ça ne m'appartient pas, je suis un chercheur, préférons un voyageur, pour le plaisir de l'image, et donc je trouve. Vous en doutez? Mais c'est certain voyons, on part de quelques éléments qu'on mélange allègrement dans la boîte à idée, on secoue un peu, on laisse reposer et voilà le bel édifice intellectuel qui avec ces matériaux, en les liant, a pu construire quelque chose de plus ou moins solide, de plus ou moins bancal mais qui tient entre deux repas. Puis on continue son voyage, on consulte les autres constructions et on s'aperçoit que d'autres, bien avant nous, avaient construit les mêmes maisons, les mêmes hameaux discursifs. Très bien, on les visite, puis on en visite d'autres encore avant de se reposer un peu, endormi dans quelque contrée de notre propre esprit. On se réveille et on s'endort sur tout ça, des jours, des nuits à écouter le silence de l'intelligence en acte. Et puis nous viennent d'autres envies, voilà qu'il faut absolument réaliser de folles architectures, plus belles, plus solides, plus hautes, on cherche à tutoyer les cimes. Content de son petit village, de sa cité idéelle, on reprend son chemin, on reste voyageur solitaire et l'on a toujours aimé les autres paysages. Peut-être au fond a-t-on un dieu, quelque chose que l'on adore par-dessus tout, qui nous permet d'endurer le fait d'être nous: l'altérité. Que les autres existent c'est le plus grand soulagement. Avec leurs différences bigarrées, ils nous donnent le droit à l'erreur, le droit au multiple, au diapré. Et voilà qu'en flânant on tombe sur la même cité que la nôtre, beaucoup de gens y vivent quand la nôtre est déserte, ils l'entretiennent, ils l'abîment aussi, ils la font vivre. Alors à force on commence à se dire que quoiqu'il arrive, on ne créera rien de nouveau sous le soleil de l'âme.

On emprunte tous le même chemin, certes il comporte de nombreux détours, des myriades d'embranchements mais il nous sépare du vide et nous permet au moins de marcher ensemble. On réfléchit un peu puis l'on se dit que finalement, si tout ce que l'on se représente a déjà été représenté, offert aux autres: une pléthore de cartes de l'esprit à la disposition de tous, cartographiant les mêmes lieux, c'est qu'au fond on voyage tous dans le même univers en empruntant à peu de choses près le même bus. On trouve, voilà tout, et si l'on veut proposer du neuf, il faut aller plus loin, connaître toutes les cartes de toutes les régions visitées, identifier les zones d'ombres, et contempler les paysages qui se fondent vers l'éternité, ceux qui donnent le vertige et font peur. Mais cela demande un travail considérable et nous ce qu'on aimait, c'était construire dans son esprit, la topographie arpentée, relier les différents éléments ensemble, illustrer leur fonctionnement, trouver les meilleur chemins d'un point à un autre. Qu'est-ce qu'il reste à faire: jeter toutes les cartes, n'y plus prêter attention, ou bien les lire toutes pour enfin être reconnu comme un explorateur. Quoi qu'il arrive il faut rester humble, le monde ne nous appartient pas. Nous en sommes une partie, c'est nous qui lui appartenons. Alors lorsqu'on a fait tout ce petit bout de chemin, on se rend compte vraiment que les philosophes et tous ceux qui aiment réfléchir (au fond y a-t-il une différence?) ne sont propriétaires de rien. Qu'ils n'ont rien inventé, la raison, comme tous les instruments n'invente rien, elle offre une lucarne sur le monde infini, un angle d'attaque mais on contemple tous l'existant, ce qui était là bien avant nous, peut-être de toute éternité.

Peut-être, et je l'espère, qu'après tout ça on devient suffisamment raisonnable pour cesser de croire en la nouveauté, en la liberté, en cet état si exceptionnel de l'homme qui aurait droit à tous les égards, qui formerait "un empire dans un empire", j'en passe et des meilleures. Peut-être qu'un peu de cet ego trop compacte pourrait se dissoudre dans "l'immensité de ces espaces infinis". Voyez, j'ai déjà commencé, je ne cherche plus à créer la beauté, j'utilise celle des autres, celle de tout le monde en somme.

Alors une promesse en fin de compte... On peut toujours se demander de quoi. La promesse d'ouvrir les yeux, ça oui, je peux encore la tenir, pour le moment. La promesse d'être ce que je suis dans le grand univers, une réalité particulière, "chose singulière en acte", quoique d'acte, je ne connaisse peu ou prou que la contemplation. Le reste du pipeau... L'homme aveugle, un bandeau sur la conscience, qui pense avoir inventé le désert dans son bac à sable. L'homme d'ailleurs qui ne voit plus que cela, son bac à sable, et qui perd peu à peu cette faculté visuelle qui consiste par un resserrement de la rétine à regarder l'arrière-plan, à observer au loin ou même à passer à travers. Je suis mauvais joueur, je sais, je suis sorti du bac à sable et j'ai senti sur moi tout le poids de l'incompréhension qui s'est mué peu à peu en déception pour certains, en haine pour d'autres, et en je ne sais quel sombre pensée sourde.

Quand je me représente, j'aime à me voir comme un corps formé de phrases, de signes en communication avec tout le fil de mon individualité. Je m'imagine vide, silhouette humaine de mots à travers desquelles perce la lumière du monde, une silhouette discrète, féline qui ne laisse pas de trace, et ne change pas les choses. Je m'imagine en locataire du cosmos, du moins de cette infime parcelle que j'ai le culot d'habiter. Je m'imagine usager de la raison, définitivement chanceux d'y être toléré. Mais paraît-il, et j'ai recueilli cette information en surprenant malgré moi une conversation entre Platon et Nietzsche, qu'en fait, ce sont les hommes qui ne tolèrent pas la raison. J'ai souri car je savais, j'avais moi aussi assisté à ce curieux phénomène... L'homme qui tourne le dos à l'éternité pour lui préférer la foi. Un autre bac à sable que l'immensité tolère...

samedi 17 novembre 2012

En puissance

La nuit c'est ma promesse des grandes choses, des projets qui ne veulent pas dormir, qui désirent plus que tout être réalisés en secret, dans l'ombre des ténèbres et de leur autre possible.

La nuit, juste avant de dormir, je fomentes tous mes chefs-d'oeuvre, je les porte à ébullition, jusqu'à ce que la surface de mon corps frémisse légèrement de ce fourmillement de la puissance qui veut se réaliser en acte.

Alors, la nuit est témoin de cet étrange rituel entre le monde et moi qui me soumet à lui. Je m'agite en tous sens, quelques mouvements brusques m'échappent, effet lointain de violentes causes internes. Tout mon être bruisse de cette monstrueuse énergie qui s'agite en moi, informe et terriblement frustrée.

L'univers prélève alors sur ma personne ce dont il est le responsable: cette folie des grandeurs, cet absolu qui hurle pour devenir expression finie, figée dans l'immense étendue physique, qui seule pourrait le révéler aux yeux de tous. Cette scène, je l'ai vécue et la vivrais encore: moi nourrissant le cosmos et lui restant indifférent. De ce pouvoir qui dort et se réveille parfois, je ne sais que faire à part le contenir encore, le laisser filtrer de temps en temps pour ne pas qu'il me brésille en mille fragments.

C'est une histoire bien connue pourtant dont je me fais l'interprète; c'est l'histoire de Dieu qui voulait prendre forme ou plutôt de la forme qui voulait prendre Dieu...

lundi 22 octobre 2012

Le temps d'un espace

Il faudrait pouvoir laisser s'envoler le temps en traversant l'espace toute sa vie. Comment le mouvement résout-il les problèmes du quotidien prosaïque? Je n'en sais rien...

Le voyage est une parenthèse entre deux étants, deux endroits où il faut exister malgré soi. Mon mode d'existence, c'est cet entre-deux, ce temps et cet espace étirés dans lesquels réside celui qui va, qui file d'une prison à une autre.

Qui a la chance de voyager de nuit peut presque connaître le bonheur serein qu'il y a à disparaître dans le paysage, à s'enfoncer dans l'oubli du passif. Être fait et ne plus avoir à faire semblant d'être maître de son devenir. Voyager de nuit en passager du vent c'est un peu être Dieu, être témoin de tout et cause de rien. C'est avoir la puissance d'échapper aux lois topiques, de traverser la nécessité pour s'en créer une autre, c'est déchirer le voile de l'habitude, c'est rendre possible.

Vivre virtuellement c'est vivre absolument.

Je peux traverser la nuit comme cela, sans qu'elle ne m'atteigne vraiment, je peux m'y creuser un passage et sortir à la lumière d'un jour nouveau, d'un jour d'ailleurs où devenir est vraiment différer et non plus une évolution du même.

Ne plus avoir personne qui croit en vous, c'est pouvoir être tout.

mardi 18 septembre 2012

Renouvellement


Je veux mon esprit pareil à mon corps et plus généralement à ma vie: toujours prêt à partir, ne s'encombrant de rien d'autre qu'un présent qui renferme en lui toute mon existence, depuis ses débuts.

Je ne veux pas d'attache en les choses du passé, juste l'incessant devenir qui me renouvelle sans cesse et fait de moi une promesse reformulée, à chaque instant.

samedi 4 août 2012

Insister pour soi

Enfanter, ce n'est rien d'autre qu'abdiquer devant sa propre vie, passer le relais à quelqu'un d'autre. On constate son échec alors on donne à la vie une autre chance d'être exceptionnelle, marquante.

À côté de ce choix, il y a les gens vraiment exceptionnels.

Et encore à côté, il y a ceux de mon espèce, qui continuent d'espérer sans trop savoir pourquoi; qui attendent que quelque chose arrive sans trop savoir quoi. Et la seule chose qui devient inexorable et évidente, c'est la monstruosité du temps qui passe et qui nous laisse de côté.

jeudi 2 août 2012

Et si...?

Et si les artistes en tous genres, accouchaient d'oeuvres exceptionnelles pour la simple et bonne raison qu'il pratiquent leur art dans une totale banalité?

Et s'il ne me manquait plus qu'une chose: cette banalité rendue quotidienne de l'homme qui s'astreint à créer le génie? Mon seul frein? Avoir toujours en ligne d'horizon ce caractère exceptionnel et extraordinaire de l'oeuvre et qui justement fait de mes oeuvres - celles que je juge dignes de ce nom - des évènements exceptionnels et peu fréquents?

Et si le réveil pour moi c'était précisément de cesser de vouloir trouver avant d'avoir cherché, de trouver du premier coup? Peut-être me faut-il creuser tous les matins et chaque après-midi? Quitte à salir mes mains pour ne ressortir que ponctuellement une pépite ou deux, de temps à autre.

Devenir suffisamment écrivain pour que l'écriture se confonde avec l'acte même de respirer, épurée de toute idéalisation malsaine, de tout rituel inutile, de tous ces soi-disant contextes propitiatoires mais qui n'ont de mérite que de rendre la création plus coûteuse, plus rare et trop coquette.

Peur de la puissance

J'ai beau me chercher toutes les excuses du monde pour expliquer pourquoi je ne suis pas ce que je voudrais être (ou plutôt croit vouloir être), cela ne changera rien au fait que la responsabilité, en son entièreté, m'en incombe personnellement.

Il me faudra - c'est en tout cas une pensée réconfortante dans laquelle je me complais - plus de force que n'importe qui pour être cela. Non, pardon, pour être tout cela. Car une volonté de puissance démesurée comme la mienne ne s'accommode pas d'une seule petite identité cloîtrée, d'un seul plaisir enclavé. Je veux ma vie sous plusieurs destins, je la veux aussi multiple et variée que possible, je veux tous les plaisirs que je souhaite, je désire toutes les satisfactions que j'imagine, toutes les souffrances et toutes les victoires sur celles-ci.

Et s'il ne fallait, pour atteindre cet inaccessible, plus que vaincre une seule chose, un dernier obstacle: la peur tout simplement...

Les autres écrivent bien mieux

J'ai la désagréable impression que les autres écrivent bien mieux que moi. De ceux dont l'écriture est le métier à ceux dont c'est un loisir voir un simple outil ponctuel. Pourquoi est-ce désagréable?

Et si en lieu et place d'un long monologue introspectif et vaguement philosophique, je laissais là un blanc; un simple point d'interrogation pour clore ce tracas actuel? Qu'est-ce que cette impression qui me taraude peut bien me révéler sur ma personne? Et si je me taisais pour laisser le champ libre à la totalité du néant? Regardez: ça me coûte... Mais y parviendrais-je quand même?..

vendredi 27 juillet 2012

Avec les gens


C'est désespéré, mais peut-être que la vie est désespérante, tout comme les gens qu'elle emmène. On croit bien faire mais on fait souffrir. On pense avoir le droit au bonheur et les autres vous tirent vers leur malheur. Qu'est-ce qu'il faut faire avec les gens? Même le temps ne les adoucit pas, ne lisse pas les relations. Bien au contraire il cristallise les ressentiments, installe le jugement au plus profond de chacun, empêche les autres d'être ce qu'ils sont.

Qu'est-ce qu'il faut faire avec les gens? Pour continuer de les aimer sans subir leurs tourments qu'ils projettent à tout va sur ceux qui les entourent? Il y a des voix qui murmurent à mon oreille « insister, insister... » et d'autres parfois prennent le dessus: « s'enfuir comme un anachorète ».

jeudi 26 juillet 2012

Les aveugles

C'est triste les gens qui s'en foutent et ne respectent rien, qui voudraient tout casser sur leur chemin. Il me semble qu'on peut demeurer tout entier concentré en soi-même tout en gardant les yeux sur le monde et l'aimer. Aimer suffisamment la liberté et l'altérité pour ne pas bousculer les choses, les gens, les laisser être eux-mêmes.
Mais non, il y a ceux qui regardent partout pour ne trouver qu'eux-mêmes. Ils ne savent pas ce qu'ils sont, cherchent désespérément à investir un corps. Ils posent les yeux sur vous comme sur un objet à posséder. Ceux-là sont les aveugles de ce siècle, ne sachant se trouver et ne trouvant personne.

vendredi 29 juin 2012

J'en oublie

"On ne voit jamais que le voile que notre conscience jette sur ce qu'elle éclaire"


Si je reste trop longtemps sans musique, poésie, beauté - donnez-lui le nom que vous voudrez, je parle de ce qui est décidément humain, trop humain, de ce regard qui éclaire la vie pour la rendre séduisante - il me semble que je meurs, doucement, comme une âme que l'éducation déserte et que l'on rend à la nature des instincts.

Pour moi, cette poésie réside dans les mots et les images, dans les sons et les visages, dans tout ce qui est langage. Car qu'est-ce que le langage si ce n'est l'homme qui peint son univers sur la réalité? Les gens m'offrent aussi leur mélodie lorsque je reste suffisamment loin d'eux. Trop près, ils m'engloutissent et je ne suis plus moi-même, je suis toutes leurs musiques, dissonances et fracas, je me brise et m'éparpille, emporté à tout va.

N'aime-t-on pas ce qui est autre que nous? Et je ne sais rester moi quand je suis parmi vous. Ce moi qui est solitude et pensée, mouvement et instant. Je ne demande pas à être aimé, juste à pouvoir être ce que je suis, ma part de chaos et de mystère parmi les gens qui se crient.

Peut-être que personne n'est prêt à aimer un tel individu et quand bien même, serait-ce si important? Je reste une vérité parmi tant d'autres, rien de plus, rien de moins. Ou peut-être moins, aller, mais qui peut bien avoir peur de moins?

lundi 18 juin 2012

Terminus

"L'homme ne perçoit que les écarts entre les choses. Ils sont la cause du temps."

Ne pas écrire, c'est un peu ne pas respirer.
On étouffe, l'atmosphère se fait oppressante, on attend quelque chose et ce qu'on attend c'est nous-même; nous-même qui ne venons pas...
On compte le temps, on se dit qu'il y en a trop de perdu dans cette vie là alors qu'on sait - le sait-on? - que c'est la seule que l'on aura.
Chaque seconde qui passe est vue comme un compte à rebours, on s'imagine la fin toute proche, on la voit partout justement parce qu'on ne peut pas la voir.
On attend...
Rien n'arrive.
On angoisse...
Rien non plus.
L'heure tourne et la pression monte de plus en plus mais rien d'autre ne se passe.
Le cerveau tourne à mille à l'heure dans son univers de fenêtres mais tous les volets sont clos, rien ne filtre vers la conscience.
On est seul face au temps qui passe et qui nous mange un peu plus.

Dans ces moments là, parfois, quand j'ai suffisamment de sagesse, - de la sagesse? Ou bien de la résignation? Ou bien la peur parce que c'est sa propre mort que l'on contemple? - je me dis que tout le temps à attendre quelque chose de soi est probablement du temps perdu... N'est-ce pas d'ailleurs le seul temps que l'on perd?

Et comme par enchantement, les volets s'ouvrent enfin, dehors c'est la nuit, - car c'est souvent la nuit chez moi - sous l'éther, les pensées prennent ma main, et les mots trouvent leur chemin vers la réalité.

On se relâche un peu, après s'être laissé porté, on redevient ce vide ambulant qui cherche à se nourrir de tout. On a vaincu l'angoisse et la mort le temps d'un arrêt de bus, d'un bouquet de pensées.

Et c'est son propre coeur que l'on voit s'effacer, et c'est son propre coeur qu'il faudra dessiner encore et encore, jusqu'à la mort, où le train des idées ne s'arrête plus pour nous, parce qu'on est au terminus, pas celui des idées, mais celui de nous-même, notre fin à nous.

samedi 16 juin 2012

Le voyageur sans destination

" 'Je ne sais absolument pas ce que je fais! Je ne sais absolument pas ce que je dois faire!'
  -Tu as raison, mais n'aie à ce sujet aucun doute: tu es fait à chaque moment de ta vie! De toute temps l'humanité a confondu l'actif et le passif, ce fut son éternelle faute de grammaire."
Friedrich Nietzsche

J'aimerais que la vie soit un voyage en train: une place assise, près de la fenêtre pour observer le paysage, le temps qui défile.
J'aime tellement regarder la vie que j'aspire à être ce voyageur sans destination, que le conducteur achemine quelque part, à travers le temps et l'espace; que les évènements me poussent malgré moi vers ce que je dois être.
Quel bonheur j'éprouve à rester là au milieu des autres, à regarder leur mouvement et à écouter leur rythme.
L'eau d'une fontaine, le poisson qui saute.
Le cri d'un enfant, le gravier qui craque sous la chaussure.
Un battement d'aile et le bruissement du vent.
Et pendant ce temps, sans un bruit, la vie qui nous emmène, par-delà nous-même.

mercredi 13 juin 2012

Le soleil et le ciel


13/06/2012


"Ne nions-nous pas quelquefois le soleil et et le ciel uniquement parce qu'il y a longtemps que nous ne les avons pas vus?"
Friedrich Nietzsche

Je crois qu'une part de moi est enfermée à jamais dans les rires des jeunes. Dans leurs sourires comme leurs colères. J'ai retrouvé ça, enfin, au milieu du racisme, au milieu de l'inculture et du désintéressement, j'ai retrouvé la douceur. Paysans ou enfants des banlieues, d'un univers ou d'un autre, peu importe, j'ai ré-appris à aimer avenir et présent à travers leur présence, je me suis réconcilié avec mes actes. Je ne peux m'empêcher d'être attaché à eux, d'ailleurs je n'ai pas voulu l'empêcher. Oh je sais mes satisfactions sont égoïstes puisque je trouve un certain réconfort dans l'idée que certains emporteront de moi une image. J'emporterai moi aussi des images par centaines de ces identités qui se peignent sur le monde. J'emporterai des noms et des visages, puis les noms disparaîtront et bientôt avec eux les visages. Il restera le bonheur d'avoir vécu un fragment d'existence à leur côté. Que puis-je vous dire, j'aime la jeunesse plus que tout, elle est une des sources de vie les plus intarissables pour moi. Je ne saurais dire pourquoi mais qui s'en soucie au fond? Ce que je trouve en eux? Des morceaux de moi-même? Des plaisirs que je n'ai su voir lorsque j'étais à leur place? La nécessité d'aimer les hommes parce qu'ils deviennent ce qu'on éprouve à leur égard? Peut-être cette dernière raison l'emporte-t-elle sur tout le reste. Peut-être pas...

Ils m'ont fait vivre, certainement l'ignorent-ils. Moi qui était comme mort, ils ont agité ma carcasse en y jetant un peu de cette poudre bien à eux, la musique de la jeunesse. Par mon regard, je leur rend hommage en jetant sur eux le voile de la poésie. Je les verrai toujours ainsi; pris ensemble ou séparément: des poèmes par centaines. C'est à travers leurs yeux que j'arrive un peu à m'aimer aujourd'hui.

Je ne sais si un jour je saurai ou voudrait séparer mon destin de leurs trajectoires. Le vouloir c'est possible, je l'ai déjà fait et cela arrivera encore, probablement... Mais le saurais-je? Au fond eux c'est un peu moi aussi. Je pourrais décider que j'ai trouvé demeure, pour un temps, pour une tranche de vie, parmi leur bouillonnement. Cette pensée parfois me galvanise, me couvre de frisson, m'insuffle du courage. Et s'il me fallait vivre parmi eux? Moi qui ai toujours cru - encore et toujours des croyances - que j'étais la seule personne à détenir mon identité. C'est sans doute vrai, tout comme le fait qu'ils sont une réponse possible à cette question du 'je'. C'est moi qui met les paroles "deviens ce que tu es" mais ce sont eux qui chantent l'air.

Je n'ai pas fini de le dire, merci, merci encore. Pour ces années qui sont ma vie.

Et pour toutes ces raisons: éducation, EDUCATION!