jeudi 29 novembre 2012

Féeries soliptiques

Une véritable chasse que de courir après ces pensées évanescentes, toujours impromptues, jamais là quand il faut. Ça vous prend dans le bus, en regardant les gens, en regardant dehors, en regardant l'autre et son altérité rassurante. Ça vous prend en marchant, quand vous n'avez pas de quoi noter, quand vous êtes à vous-même, pur et profond, sans médiation. N'essayez même pas de reprendre le fil en rentrant chez vous, fiévreux d'impatience à l'idée de coucher tout cela sur le papier, ça ne marchera pas. Au pire vous pisserez quelques phrases malingres et vulgaires de vouloir paraître trop belles, vous vous ridiculiserez. De toute façon la belle pensée est partie depuis longtemps, elle est restée dans la rue, sur le parking d'un centre commercial, dans un Spar de banlieue sale et mal fréquenté, entre la porte d'entrée et la caisse enregistreuse.

Combien d'artistes génialissimes avez-vous croisé dans votre vie, combien d'oeuvres spectaculaire et grandioses qui sont restés cachées dans leur boîte crânienne  juste derrière le rideau des yeux et le masque du visage, devanture décalée et sans rapport aucun avec l'arrière-boutique? Juste parce que les artistes n'avaient pas le coeur à planifier le spontané, à mettre en scène la beauté de leur nature intrinsèque. À quoi bon? Gagner sa vie, ramasser quelques miettes ou même le gros lot, tant d'efforts pour tant d'incertitude. Un genre de prostitution indigne, on préfère aller travailler tous les jours, souffrir avec le reste des humains et puis garder en soi jamais bien loin, notre petit chaos interne, une "étoile qui danse".

La prochaine fois que vous croiserez quelqu'un avec le visage triste ou heureux, concentré ou rêveur, beau ou laid, pensez-y. Imaginez quelle sorte de trésor se cache derrière, en coulisse, bien à l'abri des regards indiscrets et surtout de ces gens imbus qui pensent, mais ne l'avons-nous pas tous fait au moins une fois, avoir saisi votre essence par un simple coup d'oeil à votre allure, à votre faciès, à votre air enfin. Ces gens qui se repaissent de gloses, de critiques en tout genre, qui partagent leur âme, leurs culs, qui mangent ensemble, baisent ensemble, ne parlent que de ce qu'ils projettent sur le monde, se félicitent, s'admirent, s'échangent un ersatz d'amour frelaté afin que leur coeur batte encore un peu dans leur poitrine froide. Ne parlons pas, s'il vous plaît, de leur esprit glacé. Ils ont tout sorti à l'extérieur par manque de confiance, besoin d'être rassurés, évalués, appréciés, pour savoir un tant soi peu quoi penser d'eux... Tout n'est pas noir non plus, ils arrivent à produire du beau parfois, les hommes se sont construits sur certaines illusions et ils y croient tellement, qu'elles se mettent à prendre forme, réellement, dans la matière même de l'univers. C'est à cette pâle lueur que ces gens là s'éclairent, il ne faut pas leur en vouloir.

Bon, aller, je retourne à mes féeries soliptiques, on se croisera peut-être, au détour d'une rue, dans les intestins fétides d'une ville hautaine, ou bien encore dans la quiétude hirsute de nos campagnes enclavées. On ne se reconnaîtra pas, vous ne verrez en moi, comme je ne verrez en vous, rien d'autre qu'un visage et qu'un style porté comme un costume. Vous serez convaincu alors qu'il s'agit bel et bien de la délinéation de mon âme et vous penserez sûrement, à juste titre, et au fond on en restera là vous et moi: "L'a pas l'air fin cui-là avec son regard bovin". Je continue ma route.

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