jeudi 4 avril 2019

[ Damnit Crocket ] 6: Dyonisos

Avec les deux cent euros de la CAF, Damnit Crocket entamait une nouvelle vie. Il ne remercierait jamais assez ses collègues qui lui avaient fait part des droits auxquels il pouvait prétendre dans sa situation. La première chose qu'il fit fût d'acheter un peu de cocaïne, beaucoup d'alcool ainsi que les services d'une escort girl qu'il fit venir à son studio. Le raton libidineux était aux anges, enfin il exultait. L'étrange couple tournait en rond dans la petit galetas, mais pour la première fois c'était dû à une véritable excitation, un engouement électrique. Lorsque la demoiselle de joie arriva chez lui, le couvre-chef était déjà passablement éméché, parcouru d'une nervosité induite par la blanche consommée. Les présentations furent rapides, Damnit n'avait pas eu de relation sexuelle depuis un sérieux moment et sa libido hurlait famine. Il commença par réaliser un de ses petits fantasmes personnels en alignant un rail de coke sur les fesses galbes de la prostituée rompue à toutes les excentricités. Il posa ses deux mains sur la fesse qu'il pressa pour bien faire ressortir la trace poudreuse sur la chair tendre puis inspira le tout goulûment par une narine. Après cela, il ouvrit une bouteille de vin blanc en faisant sauter le bouchon aussi fort que possible: le son produit lui réjouissait véritablement l'âme. Il entreprit alors de faire couler le vin entre les cuisses de la pulpeuse partenaire, le but et le lécha frénétiquement, dans une jubilation qui confinait à la folie. Il était sur tous les front, voulait dévorer chaque substance, se fondre dans la peau de cette femme superbe et offerte, se dissoudre dans l'ivresse dyonisiaque des sens. Les cent euros qu'il pouvait payer ne lui donnaient droit qu'à une durée limitée de plaisir charnelle: trente minutes en tout et pour cette raison il se gavait dans une gloutonnerie presque morbide, la drogue décuplant son énergie. Il se retirait de la femme épuisée toutes les minutes pour aller se regarder dans la glace, admirer l'érection tenace qui lui donnait l'impression d'être un dieu grec tenant entre ses jambes le bâton du pouvoir absolu. Il transpirait et luisait sous l'éclairage de la lampe. Tiens si ce connard de voisin pouvait voir comment on baise, là il pourrait prendre une leçon. La séance dût paraître interminable à la jeune femme qui subissait les assauts incessants d'un démon en rut, mais ce dernier dût abdiquer devant son incapacité à jouir. Depuis des heures qu'il martelait le sexe de sa pauvre partenaire, narcissique, il était incapable de se laisser aller à l'apothéose jaculatoire et salvatrice, il demeurait prisonnier d'un désir insatiable et que finalement seule la lassitude finit par apaiser. Au fond peut-être n'était-il qu'un esclave qui en achetait un autre...

La fille refusa de se doucher dans le minable taudis et disparut rapidement pour essuyer les souillures de cet instant bestial et dépourvu de sentiment. Empestant l'alcool, Damnit Crocket s'assit au bord du lit et tira une dernière ligne de dépit. Il regardait la fenêtre au-dehors, la façade constellée des lumières des appartements d'en face. Il se leva pour aller s'observer dans la glace, l'érection à moitié retombée mais le sexe toujours vibrant d'une soif inextinguible. Il tourna en rond plusieurs minutes durant, jusqu'à en avoir des vertiges. Une bouteille de vodka entamée traînait sur la table, emplie du liquide transparent et pure comme de l'eau. Il s'en saisit et but par grandes rasades une quantité comme la moitié du breuvage, puis, la bouteille encore à la main, retomba sur le clic-clac, exsangue, entouré d'un halo d'effluves de sexes, de transpiration et de vapeurs éthyliques.

Lorsqu'il se réveilla, la bouteille était vide elle aussi, le sol collant et les draps du clic-clac trempés. Il se demanda s'il avait transpiré ou s'il s'agissait des restes des ébats de la veille. Mais une odeur étrange lui rappela étrangement quelque chose, il approcha son nez en plissant les narines et reconnut tout de suite l'odeur de l'urine. Le jour s'était levé depuis longtemps déjà, il regarda la fenêtre, lançant un regard douloureux à travers le voile de la migraine. La nausée l'empêchait de se mouvoir, elle le clouait dans la même position d'inconfort moindre, repoussant le moment où il lui faudrait vomir. Damnit Crocket! Il ne restait presque plus rien de la veille, à part les scories brûlantes des excès, les flashs d'une démesure inapte à éteindre le grand incendie qui consumait Damnit de l'intérieur. Comment avait-il pu se pisser dessus... Il aurait dû s'en cantonner à la cocaïne, l'alcool était un fléau. L'appartement était dévasté, il avait renversé la table basse, tous les objets étaient par terre, l'ordinateur, le cendrier, les bouteilles d'alcool dont le reste du contenu avait séché sur le lino qui collait désagréablement.

C'est pour ça qu'on travaille, pour oublier deux jours sur sept. Finalement il n'avait rien fait d'extraordinaire, c'était un weekend comme un autre, comme bon nombre de ses semblables  en passaient; une manière de vivre en concentré, dans la durée restreinte de ces deux jours de liberté q'on ne sait plus remplir autrement. En laissant traîner son regard sur le désastre, il tomba sur le couteau de cuisine parfaitement aiguisé, lisse et chromé. Impossible de détacher son regard de l'objet qu'il fixait comme s'il racontait une histoire effrayante mais dont on veut savoir la suite. Ses muscles figés, Damnit Crocket se figurait en lui une scène où il empoignait le couteau et se tranchait la langue, comme s'il s'agissait d'un quelconque morceau de viande à découper. Il pouvait ressentir le glissement aisé de la lame sur le moelleux de sa langue. Horrifié et fasciné par cette idée, il ne pouvait s'empêchait de la contempler encore et encore, comme si une vérité inexplicable, capable d'emporter la raison, y était contenue. La douleur qui lui vrillait le crâne l'aiguilla vers d'autres pensées, plus pressantes, il l'enserra de ses deux mains, allongé dans sa pisse, trop épuisé pour retirer les draps ou même se lever. Tandis qu'il roulait sur le côté, un haut le coeur le força à se lever précipitamment du matelas pour se ruer dans les toilettes. Le jour du seigneur avait toujours eu des relents d'outre-tombe.

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