dimanche 7 avril 2013

Rien ne va plus

Je ne dois pas m'arrêter, pas même une seconde, ne comprenez-vous pas que sinon je n'existe pas?
Vous ne me voyez nulle part, je suis inétendu, inextensif, marié avec le temps, divorcé de l'espace;
Ma vie est intermittente, comme le curseur sur cet écran qui ne brille que pour céder la place au néant;
Au bout d'un moment il ne restera que les lettres, mêmes les souvenirs seront morts, ont-ils seulement vécu?
Je suis un faisceau d'instantanés prélevés sur le flux de l'instant, je n'existe que par fragment.
Le moi? C'est un effort d'imagination, d'empaquetage du passé dans un objet fictif.
Imaginez un monde où toutes les lois sont inversées, où vivre consiste à désapprendre.
Imaginez tout et n'importe quoi, tout est possible et chaque possible a une vie dans l'esprit.
Vient toujours un jour, car il en faut toujours un, où votre rêve heurte une parcelle de matière,
Vous rencontrez alors la dure réalité; son altérité rebelle et infidèle à la volonté;
Il faut tant de talent, et tant de temps aussi, pour parvenir enfin à la violer, moi je n'ai rien de tout ça.
Mais le souffle est là, jamais il ne tarit, je respire dans la pulsation des étoiles, j'ai le rêve intersidéral.
Dès que le vent souffle sur ma vie, mon château éthéré se disperse dans les voiles du temps
J'ai trop flirté avec l'indétermination, au point de m'en être rendu insaisissable, impossible à aimer.
On aime des qualités chez les autres, la dynamique nous échappe toujours un peu,
Chacune des miennes ne fut qu'un dépôt offert à l'oubli sur ma trajectoire de nomade.
Restera-t-il accroché à tes oreilles, le long de tes cheveux, quelques trilles de nos fou rires?
Quelque écho de ma voix qui avait su grâce à toi se fixer sur une tonalité particulière?
Les paroles me manquent, celles de cette histoire, de cette silhouette que tu peignais de moi.
J'ai mérité mon sort, je suis rangé dans un tiroir du temps
Comme un galet ramassé un jour au bord d'une rivière, et qu'on ne porte plus sur soi.
Toutes ces vies avortées, si toutes m'ont tournées le dos, moi je n'en ai renié aucune.
Je te porte dans mon coeur comme un soleil brun qui couve en lui plus de chaleur qu'une supernovae.
Tu es une phrase musicale, une atmosphère où mon bonheur reste pour toujours enveloppé.
C'est un certain parfum, des gestes esquissés, des mèches de cheveux bouclés qui fouettent l'air follement,
La démarche chaloupée d'une chatte charmeuse, la silhouette d'une gitane qui danse dans la fumée,
Une façon de contraindre l'univers à se pencher sur toi, une façon bien à toi de posséder offerte.
Quant à moi qui suis-je? Un règne ponctuel dans une danse de mâle, élu un peu par hasard et sûrement par erreur?
Je fais une pause vespérale en regardant dehors, la nuit est belle, pleine d'étoiles coruscantes,
Sa présence, lourde et légère en même temps, me rappelle un peu toi.
La Terre aujourd'hui est un paradis fermé, un enfer qui n'existe plus, un éternel purgatoire où je traîne mon ombre.
Tel un spectre, je déambule dans les rues bondées, arborant les masques de tant de personnes en moi.
Je croise le regard troublé des passants qui me scrutent, je vois leur rétine s'agrandir démesurément
Pour capter un éclat, celui de quelque chose, mais mon trou noir retient tous les photons, je suis abîme sans lumière.
Circulez, il n'y a rien à voir, ne vous donnez pas le vertige pour un rien, continuez votre chemin.
J'ai remarqué hier non sans quelque effroi, que ma poitrine est vide, aucun coeur n'y bat plus.
Je crois que le rythme de ma vie est parti lorsque tu l'as quittée.
Il n'y a plus de musique, je suis un instrument désaccordé.
Je reste une caisse de résonance silencieuse, la délinéation indéterminée d'une forme de forme.
J'ai trop déçu cet univers en refusant ses règles les plus élémentaires
Je m'exile de moi-même, je cherche ailleurs mes particules élémentaires,
D'autres saisons, d'autres révolutions, d'autres vies peut-être, encore à inventer...
Sur le vaisseau de mes jambes, je pars aux confins de l'univers, je cherche un autre espace;
Un monde sans mouvement, sans temporalité, une sorte de fixité minérale.
J'ai tellement honte d'habiter encore ici, d'y recevoir du courrier.
Je suis un gâchis de temps pour les autres, la société, tous ces braves gens.
Pourquoi ne pas laisser ma place me dis-je, c'est bien ce que j'essaye de faire.
Mais il me manque l'espoir d'un ailleurs, où je pourrais dormir, où le poids des lois physiques me clouerait sur place, me rendrait immobile.
J'inventerais bien ce monde mais je suis de cette planète et de ces galaxies qui dansent sur le temps.
Je ne suis pas assez dieu pour retourner l'étant et faire advenir un nouveau paradigme.
Je suis une somme d'utopies, voilà tout, un trop plein de volonté.
Il n'y a ni perte ni gain possible pour les gens comme moi, au jeu de la vie je reste le croupier.
J'offre des possibles, je vous vois perdre et gagner: faites vos jeux, rien ne va plus, je n'ai plus rien à perdre.

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