mardi 27 mars 2018

La prison intérieure

Combien vivent la contradiction comme une violence, presque gratuite, tout du moins évitable et improductive. Ne pas être d'accord avec eux, argumenter contre leurs opinions, c'est être seulement négatif, c'est chercher à détruire leurs positions sans rien fournir en retour, rien d'autre que la nuance inconfortable, l'indéfini du relatif, qui ne donne pas de réponse mais invite au dépassement de ces dernières, à la remise en question, au mouvement. Nos esprits, comme nos corps sont devenus sédentaires, mais de manière pathologique: nous en sommes devenus fragiles, incapable de faire face à la richesse d'en environnement, d'un réel, qui excède incommensurablement (puisque qualitativement aussi) nos représentations, nos photographies trop figées des dynamiques à l'oeuvre dans le système monde.

Savoir se contredire soi-même avant tout. Je n'y vois aucune violence, mais bien plutôt le fondement nécessaire à l'existence de l'altérité, et donc à celle de l'autre, de sa voix, de sa réalité. Peut-être avons-nous trouvé en la contradiction sereine un des piliers les plus solides de la démocratie. Celle-ci est inconfortable, comme la contradiction. Elle n'est pas rassurante, pour certains, parce qu'elle ne se nourrit pas de réduction à l'Un (cette assertion est bien entendu relative), de répétition du même, de consensus, mais au contraire, elle provoque le doute, insuffle en l'esprit l'incertitude quant à ses propres convictions, produit de la richesse, c'est à dire de la diversité et de la différence. Or c'est précisément dans cette différence, dans ce jeu entre les dogmes que naît l'espace-temps où vit l'esprit, où il a tout loisir de croître, de se métamorphoser, de s’affûter, de devenir ce qu'il est. L'aurions-nous oublié?

Celui qui vous contredit, s'il le fait dans les formes, et par ce processus s'interroge lui aussi avec vous sur le sujet de débat, alors celui-là vous libère. Tout comme le sceptique se libère lui-même de ses propres tendances au dogme, à la stagnation dans laquelle croupit malicieusement l'intelligence, tissant et re-tissant les mêmes liens, qui deviendront bientôt les barreaux incassables d'un système de pensée monolithique, cristallisé dans l'éternité minérale.

S'enfermer, toujours plus en sécurité, toujours plus barricadé dans la citadelle intérieure inviolée, et bientôt inviolable, c'est mourir au monde, s'en retirer. La pluie, l'orage, le soleil qui brûle, la grêle, l'automne, l'hiver ont aussi leur vertus, ils font partie du monde, comme le reste.