jeudi 5 janvier 2017

Au fil de l'eau

Je me lève et sent sur mon visage la présence du monde au-dehors, du soleil hivernal qui brouille les nuages de sa clarté gris-blanc, des oiseaux qui se croisent dans les cieux, des arbres muets mais qui semblent pourtant exprimer quelque message secret.

Je dérive au gré d'une eau paisible, serpente sur le cours de l'eau qui file en lacets paisibles au sein de paysages  harmonieux. Les berges sont inondées et une herbe émeraude affleure à  la surface, tout semble abreuvé d'une alme humidité qui couve telle une mère, la vie qui s'agite.

Hier je me noyais presque dans les baïnes d'un océan furieux, emporté malgré moi par un courant vigoureux qui se riait de ma dérisoire volonté, de mes intentions - qui de toute façon n'étaient pas claires. M'emportant dans les vagues, je subissais le chahut des éléments, ne sachant plus où trouver la surface, l'eau étant à ce point troublée d'écume, et donc saturée d'air, que mon corps avait perdu toute flottaison. Je suffoquais sous l'eau, et un réflexe m'intimait l'ordre d'inspirer, d'inspirer urgemment pour prolonger l'illusion de vivre. Au dernier moment, en me débattant sans force, je parvins à percer la surface de l'eau, mais immédiatement une autre vague, plus grosse que la précédente, s'abattait sur moi, me brinquebalant en tous sens, et me laissant épuisé. Même dans ces moments, je n'ai jamais abandonné. Je remontais inexorablement à la surface, pour me retrouver ailleurs.

Sur le dos d'un fleuve immense, je traversais à une vitesse étourdissante de curieux déserts qui ne semblaient pas pouvoir exister. La force de cette masse d'eau en mouvement me terrifiait, mais je savais qu'y résister était impossible; le fil de l'eau m'emportait toujours plus loin, loin de mon origine oubliée, loin des criques où je m'étais reposé, loin des graines que j'avais semées. Je me mis alors sur le dos, comme un morceau de bois l'aurait fait, et me laissait aller dans le cours des choses, les yeux ouverts sur un ciel ensoleillé dont la clarté chauffait agréablement mon visage.

Puis tout se tut: le tumulte du fleuve se fondit en un silence paisible. Mais ce n'était pas un silence, mais plutôt l'orchestre qui passait d'un presto insistant, à un adagio lénifiant, crevé par les bruits d'une nature paisible: cancannement joyeux, remous délicats d'une eau reposée, froissement des herbes et des branches qu'une brise intermittente et timide caressait sobrement. J'étais là, toujours en planche, en plein milieu d'un lac bordé de prairies et de forêts de sapins, enceint de collines rondes et généreuses sur les flancs desquels paissaient quelques moutons épars.

Soudain tout devint sombre, grondement mineur et souterrain, je filais de nouveau, au sein d'un filet d'eau cette fois. Je frôlais les parois minérales de boyaux étroits que je devinais seulement: l'ouïe était le sens de ma vue. Lorsque l'impétueux ruisseau me déposa dans une étendue plus vaste au repos, je dérivais mollement le corps immergé dans l'eau, au sein de voûtes gigantesques où résonnait le glougloutement de l'eau vive se déversant dans un lac. Plus loin, lorsque je fus suffisamment éloigné de la cascade, je pouvais entendre l'écho apaisant de gouttes allant se jeter dans le vaste réservoir où j'évoluais calmement. Si la Terre était un instrument, je serais alors dans sa caisse de résonance.

Profitant de l'accalmie, je me demande alors, un peu inquiet, à quel moment devrais-je jaillir du sol où je suis enfoui, pour connaître de nouveau la violence et le fracas; au sein de quelles vertigineuses chutes ma vie s'écoulera-t-elle, anxieuse et sans pouvoir, en attendant que quelque chose ou bien rien, ne mettent fin au manège d'un destin qui s'écrit.

Au fil de l'eau, à la dérive, s'écoulent mes secondes. Je sélectionne les plus noires et je m'attache alors à leur accoler une traînée de mots, comme une queue de comète, toujours en retard sur la tête, mais qui témoigne au yeux des cieux du passage de quelque chose. À ces heures sombres, je donne quelques nuances et reliefs, je décore ma vie comme un enfant solitaire qui s’ennuie.

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