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Une des anecdotes qui constitue le socle sur lequel s'est bâtie ma
personnalité est sans aucun doute celle de la professeure de physique
lorsque j'étais au collège. Je l'ai déjà relatée ici, en d'autres
textes, mais je le refais volontiers puisqu'elle sert de fil rouge, de
point de départ prolixe à la rumination d'une vie, à tout un destin qui
s'écrit encore aujourd'hui à travers le sillon que je trace.
Nous étions donc en cours de physique, cours qui portait sur les
circuits électriques, et l'enseignante ne cessait d'employer les
expressions de charge positive et charge négative. Etant plutôt lent par
nature, je trouvais étrange de manipuler ces notions sans vraiment
savoir sur quoi elles portaient. Je demandais donc qu'est-ce qui était
négatif et positif exactement. On me répondit qu'il s'agissait de la
charge électrique, or je voulus aussitôt savoir ce qu'était exactement
l’électricité, quelle était sa nature? Ce à quoi la professeure me
répondit qu'il s'agissait d'une forme d'énergie. Toujours mu par la même
logique, je demandais alors ce qu'était l'énergie. Là, l'enseignante
excédée me répondit sans ménagement que ce n'était pas la question, et
que je n'avais qu'à suivre le cours.
Suivre le cours de sa pensée... Sa pensée qui n'épousait pas la forme de
la mienne, sa pensée qui probablement ne s'était jamais demandé ce
qu'était l'énergie. Mais je préjuge, et je ne peux rien déduire de la
pensée de cette dame à partir de cet incident, je ne peux que constater
que mon opiniâtreté, ce désir qui m'animait d'aller "au fond des
choses", n'était récompensé que par de l'agacement: l'école me voulait
soumis et non curieux, ou plutôt soumettre ma curiosité à sa forme. Je
n'aimais déjà pas l'école, mais j'ai décidé à partir de cet instant que
je n'avais rien à y apprendre, que tout cela constituait bavardages
futiles à partir de notions incomprises, voire ininterrogées. J'ai passé
le reste de mes études à apprendre par coeur ce qu'il fallait
apprendre, à le régurgiter docilement et avec brio, puis à l'oublier
aussitôt. L'école n'a laissé que peu de traces en moi depuis ce jour.
Mais que voulais-je savoir au juste en posant cette ultime question à
l'enseignante? Elle aurait pu me répondre que l'énergie se divisait en
plusieurs manifestations: cinétique, électrique, thermique, etc. Mais
cela ne m'aurait pas satisfait pour autant, ce que je voulais savoir,
moi, c'était la nature de l'énergie, le quid. Pour répondre à cette
question, il aurait été nécessaire de pouvoir, notamment, déterminer la
ou les causes de l'énergie et d'en énumérer les composants. Mais on voit
bien alors comment la question peut mener à une régression à l'infini,
que connaissent bien les enfants qui interrogent les parents qui
finissent bien souvent par réagir comme l'enseignante de ma petite
histoire - bien qu'un aveu d'ignorance aurait été plus séant et
certainement moins destructeur. Qu'attendais-je donc au juste comme type
de réponse, si connaître une chose c'est en saisir sa nature: qu'est-ce
que nous appelons la nature d'une chose?
Natures de la connaissance
L'approche scientifique la moins dogmatique consisterait à adopter un
positionnement empiriste: connaître une chose c'est en saisir les
diverses manifestations. Ainsi l'énergie est électricité, chaleur,
mouvement, etc. On ne peut rien dire de plus.
Mais cela ne serait pas suffisant à fonder une science véritable, et il
faut rajouter à cela une compréhension causale après avoir énuméré et
décrits les effets. En ce qui concerne l'énergie, le problème devient
épineux puisque nous ne connaissons pas de cause à l'énergie: l'énergie
est, se conserve, ne se crée ni ne se perd. À vrai dire, tout ce que
nous connaissons, ou plus précisément expérimentons, est énergie.
Pourquoi l'énergie existe, c'est une question métaphysique, aujourd'hui,
à laquelle nulle ne peut répondre (pour le moment). Même dans un cas où
les causes peuvent être déterminées, il s'agit toujours d'un modèle
abstrait d'explication causale car les causes d'un phénomènes ont
elles-mêmes des causes et ainsi de suite jusqu'à une régression à
l'infini. Pourquoi donc s'arrêter à un niveau plutôt qu'à un autre si ce
n'est par un choix arbitraire (on retrouve un peu la logique de
l'argument sorite).
Pire, ce que nous croyons isoler comme causes d'un phénomène n'est que
le fruit de la clôture d'un système (produit pour les causes de
l'expérimentation) qui pourtant demeure ouvert. Lorsque le scientifique
isole une partie de l'univers pour réaliser des expériences, il le fait
pour des raisons pratiques: parce qu'au sein de ce système clos, il
croit pouvoir dénombrer les éléments pertinents, formant par là une
abstraction qui n'est déjà plus en phase avec le réel examiné ("la carte
n'est pas le territoire"). Ce faisant, il limite la validité de son
explication causale, puisqu'il ne fait que des inférences et des
suppositions, il taille dans les phénomènes et travaille à partir d'une
carte qu'il surimpose sur le monde qu'il souhaite arraisonner.
Mais là encore ce ne serait pas suffisant pour une connaissance du quid
et il faut donc être capable de donner les éléments constitutifs de la
chose: de quoi est faite l'énergie? Cette question peut trouver une
réponse lorsqu'elle porte sur d'autres objets, par exemple la matière.
Mais même dans ce cas, la réponse n'est qu'une abstraction qui donne un
état de l'art (aujourd'hui les quarks), c'est à dire qu'elle ne fournit
qu'une représentation de ce que nos moyens techniques nous permettent à
un moment donné de modéliser avec vraisemblance pour une intégration
cohérente aux théories scientifiques admises. Pire, la question n'a
potentiellement pas de réponse ultime s'il s'avère que toute chose est
décomposable à l'infini en éléments qui la compose (les atomes, malgré
leur nom, ne sont pas les éléments premiers et indécomposables de la
matière)...
Ne m'intéressant ici qu'à l'épistémologie, et donc à la connaissance
théorique, je passerai les autres types de connaissance, tels que le
savoir-faire, la connaissance factuelle ou mémorielle, etc.
Les apories de la connaissance
Dans le premier cas où l'on s'attache à un point de vue positiviste qui
consisterait à décrire les différentes manifestations d'un concept, on
se heurte rapidement au problème du point de vue. En effet, décrire un
objet sous-entend d'avoir une perception de cet objet, c'est à dire une
relation sujet-objet. La relation qu'entretient un sujet à un objet se
nomme subjectivité, elle est un point de vue nécessairement limité sur
l'objet en question. Rapidement l'homme s'est méfié des limitations de
ses sens, et a perçu le problème du point de vue. Il s'est alors lancé
dans l'aventure scientifique qui a pour velléité de transcender un point
de vue donné pour en synthétiser de toujours plus nombreux, en tendant
vers l'horizon intangible du point de vue de tous les points de vue.
D'une part, cet horizon est un idéal inatteignable par nature, si l'on
considère que l'univers est infini (or rien ne nous le prouve mais nous
n'avons pour l'instant aucune expérience de limites intrinsèques ni de
l'infiniment grand, ni de l'infiniment petit. Dans ce domaine, seuls nos
moyens techniques nous limitent pour le moment); mais d'autre part,
quand bien même on pourrait synthétiser tous les points de vue en une
seule perception, en une subjectivité désubjectivée, il s'avèrerait
impossible de le faire de manière simultanée. Ce nouveau point de vue,
ne serait qu'une reconstitution a posteriori de divers points de vue,
reconstitution observée toujours par un individu-sujet, soumis à la
limite de son point de vue. Autrement dit, nous aboutirions à un point
de vue de points de vues, et le mythe de l'objectif se perdrait alors
dans la nécessité de réunir l'ensemble des points de vues de points de
vues, et ceci dans une régression à l'infini.
La réalité humaine est profondément relativiste de par ce fondement
transcendantal qu'est le rapport sujet-objet. Ainsi, l'absolu d'une
connaissance objective pure ne peut être atteint dans une ontologie
relativiste, mais il est, à l'image des Idéaux de la raison pure chez
Kant, un principe, un horizon vers lequel semble tendre naturellement
l'esprit humain. Il s'avère, qui plus est, très productif.
La limite des formes transcendantales
Un autre problème qui vient s'ajouter au relativisme quantitatif que
nous venons de décrire est celui du relativisme qualitatif ou
transcendantal. En effet, le sujet percevant est affecté par les objets
de sa perception par l'intermédiaire des sens. On sait que toutes les
formes de vies n'ont pas les mêmes sens, et par là même n'ont pas un
accès identique aux objets. La contribution kantienne sur le sujet est à
mon sens essentielle encore aujourd'hui, et je m'en servirai donc comme
base de réflexion. Ainsi, non seulement notre perception du monde est
sensiblement médiatisée par nos sens, sens qui n'épuisent pas l'étendue
des interfaces sensibles possibles dans le règne du vivant, mais aussi
par nos formes de l'entendement. Kant nous montre assez bien d'ailleurs
en quoi la causalité, qui est un principe de notre appréhension du
monde, n'est qu'une forme, parmi d'autres possibles, de constitution
d'une nature (d'un monde). Nous sommes incapables de concevoir autrement
qu'abstraitement, par les mots, ce que serait une existence non
causale. Il s'agit là d'une limite puisque la causalité semble être une
condition même de possibilité pour l'homme de la connaissance comme de
l'expérience consciente. Or qui nous dit qu'il n'existe pas dans la
nature des êtres dotés de formes de l'entendement différentes, ou
simplement privés de la forme causale. Si nous percevions le même objet
alors, quelle perception serait la plus vraie? Nous sommes contraints
face à ce genre d'interrogations, de suspendre notre assentiment quant à
la nature de la chose en soi, du réel, et d'accepter les formes
limitées à partir desquelles nous constituons notre monde. S'il est déjà
malaisé d'imaginer le monde perçu par une chauve-souris, qu'en est-il
de formes de vie encore plus éloignées, comme le peuvent être les
végétaux, ou même d'éventuels extra-terrestres?
Nous avons donc appris grâce à Kant, que l'être qui perçoit un monde, ne
fait pas que capturer dans ses filets des choses telles qu'elles sont,
mais qu'il constitue à travers ses formes transcendantales un monde qui
est la rencontre entre un sujet et le réel; les formes sensibles et
intelligibles du sujet filtrant le divers du réel pour produire des
images ou objets qui s'assemblent en un monde normé et médiatisé par les
caractéristiques (formes transcendantales) du sujet.
J'ajoute aussi que c'est étonnamment une chose que semble confirmer la
physique quantique notamment à travers la dualité onde-corpuscule qui
montre que la lumière, par exemple, n'est ni une onde ni un corpuscule,
mais que le réel semble se conformer aux situations qu'on lui impose
pour produire des phénomènes dont nous prédéterminons les conditions de
possibilité par notre constitution transcendantale.
Les mots et les choses
Un autre problème majeur que l'on peut mettre en évidence, c'est l'objet
réel sur lequel porte la connaissance. La connaissance porte sur des
objets, or les objets ne sont pas la chose: l'objet est littéralement
"jeté là" par le sujet qui le constitue à partir de ses formes
transcendantales. Mais ce problème a été discuté au paragraphe
précédent, ce qu'il est important de noter ici, c'est que les objets
réels de la connaissance, ne sont pas les phénomènes, et les choses
objectives (au sens kantien), mais précisément les représentations
sémiotiques de ces phénomènes. Il n'existe aucune connaissance sans
sémantique et sans sémiotique. Connaître suppose de pouvoir élaborer des
concepts à l'aide de signes, représentant des objets, et d'une
grammaire ou sémantique permettant de lier les choses entres elles. Un
objet est identifié arbitrairement à un signe, puis il est composé
d'autres objets à partir de règles, c'est à dire d'une logique qui agit
comme le font les lois fondamentales de la physiques unifiant
l'expérience des objets dans un monde. Mais dans la connaissance, même
en physique, nous ne manipulons jamais que des concepts, c'est à dire
des représentations linguistiques d'objets (qui sont déjà eux-mêmes des
représentations sensibles du réel), or ces concepts n'ont aucun lien
logique avec les objets, ils sont des abstractions qui renvoient à des
abstractions et ce dans une régression à l'infini. C'est par exemple le
cas lorsqu'on tente de définir la matière: on ne fait qu'énoncer des
concepts comme les atomes qui la composent, concepts qui sont des
abstractions souvent vouées à être amendées par la suite, au fil des
découvertes dirimantes d'une science en perpétuelle transformation. Il
faut bien rappeler ici deux points: nul atome n'a jamais été observé,
toute image de ce dernier n'étant qu'une représentation, une
reconstitution sous la forme d'image, des effets d'un phénomène qui
probablement ne correspond à aucune image que l'on peut en faire (c'est
d'ailleurs ce qu'il se passe avec la dualité onde-corpuscule). Je
conseille vivement au lecteur de s'intéresser pour cela au fonctionnement du microscope à effet tunnel.
Ainsi, lorsque vous manipulez un concept, si vous voulez en avoir la
définition, vous êtes redirigé vers d'autres concepts, idem pour la
définition de ces derniers, et ce à l'infini. Pour sortir de la
régression, il vous faut sauter du nom à la chose, selon une désignation
rigide, mais là encore cela pose de nombreux problèmes discutés ici.
La question des axiomes
Qu'est-ce qu'un concept? Une synthèse d'objets élémentaires assemblés
par des lois. Ces lois sont des liens logiques qui permettent de former
des propositions qui maintiennent la cohérence de l'objet conceptuel.
Toute la science est fondée sur les concepts, or en science ce qui
permet d'attester de la validité d'un concept et de propositions, c'est
la démonstration. Le problème de toute démonstration est qu'elle repose
nécessairement sur des axiomes: véritable fondement indémontrable et
pourtant essentiel. Ainsi, nous constatons un point important des
représentations humaines: une chose est toujours consubstantielle à son
contraire, mieux, l'un se fonde sur l'autre et réciproquement. Par
conséquent, il est toujours nécessaire de postuler, de croire et
d'accepter la validité a priori d'axiomes initiaux afin de produire des
propositions démonstratives.
Si l'on veut démontrer les axiomes en question au sein d'une théorie, il
faut le faire à partir d'une nouvelle axiomatique qui permettra de le
faire, mais alors afin de vérifier la légitimité des nouveaux axiomes,
il faut produire une nouvelle axiomatique, et ainsi de suite dans une
régression à l'infini. Ainsi, nous le voyons, l'axiome est hors du
raisonnement, il en est la condition de possibilité.
Toutefois, aborder la question d'une connaissance théorique du réel à
partir de la logique, bien qu'étant une méthode historique, est-il bien
légitime? Si nos formes transcendantales semblent bien présupposer une
structure d'organisation que l'on peut trouver dans la logique, qui nous
dit qu'elle demeure pertinente pour aborder la question du réel? En
outre, si l'on peut douter de cela, alors pourquoi ne pas douter non
plus de la pertinence d'une ontologie relativiste et de la chose en soi?
Introduction: qu'est-ce que savoir?
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