mardi 9 février 2016

Vanité

Je me souviens aujourd'hui. Marchant sur le chemin bordé d'une haie d'arbustes, ce chemin qui sort du bois où je vais faire mon sport, ce chemin où je traîne avec allégresse mon corps fatigué par l'effort. Marchant sous le ciel nocturne de cette journée pluvieuse, fendant le vent glacé de cet hiver présent, je me souviens d'une anecdote. Je me rappelle cet Adrien assis dans un amphithéâtre assistant à un cours de philosophie et interrompant le professeur pour corriger une de ses références: "c'est la France contre les robots monsieur"... Vanité, désir de montrer sa connaissance, intervention inutile que je regarde aujourd'hui avec une certaine bienveillance, bien que je la sache méprisable en beaucoup de points.

J'ai beau me croire moins vaniteux qu'alors, je le suis tout autant, Adrien qui se souvient de cet autre du passé, Adrien qui regarde l'autre avec condescendance, cet autre qui pourtant avançait dans l'horizon de ses idéaux, et qui pour cela se sentait grand, maître de sa galaxie, supérieur aux autres parce que plus loin que n'importe qui sur son chemin. Adrien d'aujourd'hui est le même, lui qui s'est élancé sur d'autres routes, et guette au loin des horizons différents. Il avance en conformité avec d'autres idéaux et se permet de juger cet autre lui vaniteux, lors même qu'il fait preuve de la même vanité par cet acte.

On ne se départit jamais de la vanité... On s'invente un monde que l'on fait tenir avec les lois du moment, on se peint des cieux et des enfers, on trace des marqueurs figurant un haut et un bas sur la pâte informe du réel. On se crée sa petite fiction qui nous permettra de vivre heureux, heureux parce que le meilleur quelque part, heureux parce qu'en chemin vers le sommet qu'on a dessiné, sur une route unique que les autres ne peuvent suivre aussi bien, puisqu'ils n'ont pas trébuché sur les mêmes obstacles, puisqu'ils n'ont pas sinués sur les mêmes lacets de la vie, puisqu'ils ne sont pas nous.

Vanité, toujours, vanité pour faire tenir la vie dans la carcasse, vanité pour continuer de croire avancer, continuer de croire devancer et se donner des airs d'être quelqu'un parmi les autres.

Oh ce n'est pas la conscience de cette vanité qui en sauvera Adrien-qui-écrit-ces-mots, cette conscience en fera juste un objet, mais il suffit de cesser de contempler l'objet pour qu'il replonge dans les sources inconscientes de l'être, pour qu'il se refonde en nous et se dissolve dans nos gestes. J'ai beau tenir aussi fort que je peux ce reflet de mon être (Vanité), chaque fois que mon attention s'égare, je redeviens vanité, comme tous les autres, comme l'armée des monarques auto-déifiés qui partagent avec moi la grande cour de l'indéterminé et de l'indéfini.

Vanité, partout: la colle qui fait tenir les murs de chaque monde.

Je me souviens, vanité...

Aujourd'hui, et pour demain encore, vanité.

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