vendredi 7 février 2020

Ce que les autres semblent

Honnêtement? Je ne me souviens plus à quel âge je l'ai perdue...

C'était peut-être en quittant le pays, oui... Ça doit être à ce moment là. Je me souviens comme les journées ressemblaient à la nuit là-bas. Je me souviens ce que cela fait d'être étranger à sa culture d'accueil, de n'en pas comprendre les coutumes, de n'en pas apprécier les goûts, et de scinder son âme en deux parties. Il est vital qu'une part de soi continue à vivre...

Honnêtement, je ne me souviens plus de l'âge mais néanmoins de chaque instant, de chaque seconde, de chaque atome de temps écoulé.

Ça me fait toujours un peu sourire les gens qui prennent une mine contrite lorsqu'ils évoquent un passé douloureux, j'ai toujours eu l'impression qu'ils jouaient un rôle, faisaient marcher les neurones miroirs qui font que l'on singe les comportements collectifs jusqu'à ne plus s'en rendre compte. Eh quoi, le passé est révolu, si vous racontez cela depuis le lit d'une humeur équanime quel besoin de jouer la tristesse...

Je me souviens donc de tout cela: du froid de glace qui couvrait la chaleur survivante, des jours gris qui rendaient chaque mur, chaque angle, toute forme sale et angoissante. Je me souviens des forêts sombres qui m'isolaient dans le présent insulaire, comme un naufragé de l'exil qui s'échoue sur un rivage malvenu.

Je n'avais que des shorts et des bermudas dans ma garde-robe qui ne servaient à rien ici. Avec mon look de surfeur au teint hâlé, j'entrais sur la scène comme un arlequin dans un film en noir et blanc. Un film dans une langue originale, qui n'était pas la mienne bien qu'elle en empruntât les mots et les phonèmes. Mon accent se dissolvait au contact de ce bain linguistique forain et hostile, ridicule et comme arriéré.

Il fallait se déshabiller de soi, ce soi qui n'est au fond qu'un tas de fringues que l'on enfile depuis tellement longtemps qu'on ne l'identifie plus comme tel, qu'il est devenu peau. Il fallait enfiler le nouveau costume, apprendre son texte comme on dit et porter haut le masque. Y a-t-il seulement quelque chose de neuf dans ce processus? La vie sociale n'est-elle pas invariablement ce même cheminement d'intégration forcée qui mène chaque humain à se faire un reflet, quand bien même anamorphique, de tous ceux qui l'entourent?

À un moment donné on ne se donne même plus la peine d'enlever ses habits pour dormir. On se couche ainsi, on devient peu à peu ce que les autres semblent et ce qu'au fond jamais nul n'est.

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