vendredi 2 mars 2018

Hors-Je

Il me faudrait dormir. C'est sûr, certain, sans appel: dormir est la seule chose à faire et pourtant. Pourtant de ma seconde épuisée à peine commencée, je me penche sur la suivante, à tel point que je file aux tréfonds de la nuit, sans attache ni prise sur le présent. J'attends. je chasse. Les mots qui viendraient bercer mon âme encore une fois. Récompenser une journée pourtant chargée. Mais il n'y a plus de temps, le sablier à moitié vide pour celui qui a préparé le temps pour accueillir le temps, celui là qui s'est rendu prisonnier de toute sa liberté d'être libre. Mais qu'est-on au juste lorsqu'on est simplement libre d'être libre? D'ailleurs n'est-ce pas plutôt être affairé frénétiquement à rendre propice la liberté? Lui créer un écosystème favorable comme s'il s'agissait là d'une chimère qui pourrait décider d'elle-même d'entrer de plain pied dans notre monde aseptisé. Ma liberté a des géométries si structurées qu'elle ne parle que de l'ordre et du travail qui lui est nécessaire.

Alors j'attends, j'attends d'être libre à la prochaine seconde, j'attends d'être libéré de l'attente, libéré du besoin de la liberté, de l'illusion de liberté elle-même. Encore un absolu qui s'accroche à vos basques et vous rend pareillement pathétique à ceux qui tendent les mains vers l'horizon pour l'effleurer de leurs doigts. J'attends d'attraper un nuage: une phrase, une autre, un poème qui s'assemblerait et briserait la vacuité sinistre où s'enferre ma conscience et mon présent d'existence. D'existence... Existence cellulaire, piégée dans des cellules, peut-être ne suis-je qu'une amas de cellules dans d'autres cellules enfermées dans d'autres cellules. La liberté est cette ultime geôle, celle qui veut contenir toutes les autres. Inviolable qu'elle est, l'on n'en sort pas car on n'y entre jamais. La liberté n'a pas de barreau, elle n'est pas close mais ouverte, la liberté c'est votre monde, c'est vous, les bornes de vos sensations, les limites de votre vision, le surgissement de l'avenir sur la scène du présent. Attendre la liberté, vouloir être libre, c'est vouloir être soi. C'est demeurer comme un con, comme une variable déterminée en face d'elle-même. La liberté c'est le signe '=' à travers lequel vous guettez vos profils. Mais ce que vous quêtez c'est bien la différence, alors vous ne vous trouvez pas, vous ne savez plus vous voir, vous ne pouvez plus vous voir.

Pourtant c'est bien vous dont 'il s'agit dans ces secondes vides où résonne l'écho de ce que vous êtes sans vous en apercevoir. Attendre, jusqu'au bout de la nuit s'il le faut, qu'un visage étranger vienne vous divertir. Les mots sont si pratiques pour grimer un visage bien trop familier. Les mots sont le rimmel qui vous fais attraper un regard, votre propre regard, et vous convainc pourtant qu'il s'agit d'autre chose, quelque chose de plus, quelque chose de mieux, quelque chose de beau.

Dans l'attente résonne l'attente même. Ce silence est devenue votre partition, vous ne vous écoutez plus qu'en arpège, un son à la fois et dès qu'un accord surgit, de nulle part croyez-vous - ou d'ailleurs - vous êtes convaincu que c'est un don du ciel, un morceau de réel chu dans votre escarcelle. Et pourtant pauvre idiot, il s'agit bien de vous. Dans l'attente et le vide il y a l'action brutale et engagée, il y a les choix et les décisions, il y a l'engagement qui lie des chaînes de secondes qui forment des lambeaux de destins qui tisseront votre histoire. Mais cette histoire vous vous refusez à la lire, cette histoire n'est pas vous, non; trop déterminée, trop qualifiée, trop quelque chose quand vous êtes - ça vous n'en doutez pas - tout ou rien et surtout la jonction entre les deux.

Prétentieux. Fainéant qui aspire à l'achèvement immédiat, qui veut tous les voyages sans en avoir fait aucun. L'humilité c'est de choisir, l'humilité c'est de faire et de laisser ce sujet fantasmé devenir un objet pour d'autres, un objet uni et défini dans une conscience qui se croit tout. Chacun se croit tout, et tous ne peuvent l'être. Face au réel tu n'es pas rien. En lui tu n'es pas ce rien où tu vois la seule réalisation du tout. Tu dormiras bientôt, produisant ton silence relatif dans le réel absolu. Tu dormiras, déterminé, défini malgré toi. C'est tout.

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