dimanche 29 juin 2014

Ma forme expressive

Quelle est donc ma forme expressive? Est-ce l'écriture diariste ou bien encore le poème en prose? Serait-ce l'aphorisme philosophique ou bien la longue dissertation? Depuis tant d'années, je cherche, oscille, balance et expérimente à droite à gauche, des formes expressives qui pourraient accueillir la quasi-totalité de ce que je suis intérieurement, dans cet univers informe et total. Mais rien à faire, aucune d'entre elles ne sait se faire oublier, coller à la peau au point de s'y confondre, épousant chaque mouvement, n'offrant nulle résistance. Partout, dans chaque tentative, quelque chose se perd, cet essentiel qui ne peut ressortir dans les mots car il n'appartient qu'à moi et que le mot n'est que la chose de tout le monde, et par conséquent celle de personne.

J'aimerais écrire une philosophie qui soit poétique sans être fantaisiste, d'une poétique imprégnée de logique. J'aimerais écrire des textes qui soient comme des démonstrations mathématiques, mais avec la puissance de l'évocation en sus. La philosophie n'est pas que raisonnement pur et formel, d'ailleurs rien n'est raisonnement pur, un raisonnement est dans son fond la qualité d'une expérience humaine qui colporte son lot d'émotions et de sentiments, si sublimes parfois. C'est tout cela que j'aimerais convoyer dans mes textes: la froide altérité du raisonnement et son implacable marche qui met tout le monde d'accord, qui vous prend la main et ne vous lâche plus, ainsi que la profondeur vertigineuse et abyssale du sentiment philosophique, celui-là même qui vous fait éprouver au coeur de la conscience le sentiment d'infini ou bien celui de vacuité. Les mots ne doivent pas seulement charrier l'ossature du raisonnement discursif avec chacune de ses étapes, dessiner le réseau complexe qui rassemble plusieurs données en un système unique, mais ils doivent aussi charrier par leur agencement, par le style qui les fait pulser tel un véritable coeur, tout l'effet et le ressenti que la pensée formalisée implique lorsqu'elle est vécue comme une expérience authentique.

Combien de temps me faudra-t-il encore pour trouver la recette? Combien de tentatives avortées, d'échecs et de frustrations enfouies me faudra-t-il endurer? Journal, prose, démonstration logique, roman, etc., tant de rêves et de saveurs qui toutes possèdent quelque chose d'unique et d'enchanteur, quelque chose dans lequel j'aimerais exister... Y a-t-il un sens à vouloir les réunir dans une forme expressive unique?

Et quand bien même arriverais-je à trouver la formule, il resterait toujours en moi l'essentiel qui ne peut voyager, cette temporalité et cet implexe que je ne peux injecter dans les mots, que seul autrui a le pouvoir d'introduire; mais alors mes mots sont des outils que l'autre utilise pour faire parler son propre coeur.

Ô narcissisme utopique, jamais Adrien, tu ne sortiras de toi. Je commence à croire que la seule réalisation narcissique satisfaisante est une écriture cachée, celée dans la malle de son esprit, emprisonnée là où personne, jamais, ne viendra la lire. Mais cette idée n'est qu'un mensonge. Le raffinement du narcissisme consiste à se placer sur le chemin d'autrui en faignant d'être là par hasard, voire contre son gré, et d'attendre patiemment au dehors (impatiemment au dedans) l'amour que l'autre a en réserve, note fontaine d'existence.

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