lundi 30 juin 2014

Les vérités sur lesquelles on ne revient pas

Le scepticisme est une manière d'assembler les croyances et jugements de manière à engendrer le doute, non pour le simple plaisir de destruction, mais bien au contraire, dans un souci perpétuel de construire.

Ainsi, lorsque j'entends un scientifique dire qu'il y a des vérités sur lesquelles on ne reviendra jamais (comme le fait que la Terre soit ronde par exemple), je ne peux qu'ériger contre cette assertion certains faits qui, reliés d'une certaine manière, amènent à nuancer fortement ce jugement. Il me semble intéressant d'interroger, encore une fois, les mots que l'on utilise et plus précisément l'adjectif "rond". Que peut bien vouloir dire le terme "rond"? Il y a plusieurs réponses à cette question dont je fournirai une liste non exhaustive mais suffisante pour ma petite démonstration.

D'abord on peut invoquer l'aspect qualitatif de la rondeur, d'une part à l'aide de la sensation du toucher, ou bien celle, peut-être plus commode, de la vue. Un objet rond est un objet dont la surface représente une courbure régulière et dont chaque point est à équidistance du centre.

On peut ensuite user d'une description plus mathématique, en passant par la mesure de la circonférence à l'aide de la longueur du rayon, ou bien encore en définissant le rond comme un objet (je devrais dire une figure) dont la somme des angles formés par chaque segment allant du centre à la périphérie donne le résultat suivant: 360°.

Pour autant, est-on si avancé? N'a-t-on pas utilisé des mots pour donner la signification du mot "rond", et par conséquent n'a-t-on pas substitué à une variable inconnue (le mot "rond"), d'autres variables inconnues? Que sont ces formules mathématiques et en quoi nous disent-elle ce qu'est la forme de la Terre? Ne sont-elles pas des signes organisés selon des lois sémantiques et arbitraires qui se substituent à des référents tangibles et supposément réels? Par exemple un angle d'un degré est le concept permettant de décrire l'écart formé par deux plans rapportés à un même centre. On peut imaginer par exemple deux crayons dont les mines pointent vers deux directions différentes et dont les extrémités opposées à la mine se confondent. L'homme perçoit cela et mémorise cet espace (par exemple en conservant ces deux crayons dans la position qu'ils ont) en lui accolant le titre "un degré centigrade". Voici l'angle et le degré centigrades nés (pardonnez la grossière approximation que je me permet). Mais au fond, chacun est seul face à son ressenti qualitatif, face à l'impression que laisse le spectacle de ces deux crayons. Nul ne sait vraiment ce qu'autrui ressent à l'intérieur de lui-même lorsqu'il regarde les crayons ou lorsqu'ils les touche. Pourtant chacun use du mot en le rattachant à l'image produite par l'impression et en supposant que celle-ci est la même pour tout un chacun. Une fois encore, c'est la réalité dite objective qui nous sert de support consensuelle, c'est à elle que l'on se réfère par nos mots, mais nous oublions trop souvent que nous n'avons qu'un accès subjectif à cette réalité qui demeure invariablement irréductible à l'image que nous en avons. La chauve-souris ne percevra certainement pas le même monde que l'abeille et cette dernière, ne se représentera probablement pas le monde comme le fait un homme. D'ailleurs entre les hommes eux-mêmes, des divergences notables existent alors que dire de celles qu'on n'imagine même pas? Lorsque je dis vert à mon ami, ayant en tête et revivant pour ainsi dire en un sentiment particulier la sensation suscitée par cette couleur, que sais-je de ce qu'il ressent à l'évocation du même mot? On pourra m'objecter que le vert est une somme de substances quantitativement déterminables dans le réel, mais que sont ces substances et ces quantités si ce n'est l'invention des hommes, invention qui réfère invariablement au réel qu'elle exprime et illustre, réel qui demeure en lui-même indéterminé et mystérieux, ne s'offrant que singulièrement dans une relation avec un observateur.

Nous ne savons jamais à quelle expérience pour autrui nos mots réfèrent, bien que nous parvenions souvent à nous mettre d'accord sur leur emploi. Dire que la Terre est ronde est une vérité qui ne dit rien, précisément parce que le prédicat "rond" ne nous dit rien de manière universelle, il ne renvoi qu'à une expérience subjective ou à une manière subjective de comprendre un fragment du réel pointé et délimité par la communauté des hommes. Par quel miracle arrivons-nous à nous mettre d'accord, à nous comprendre malgré tout, à fabriquer avions et horloges? La simple considération de cette question me fait re-évaluer la perspicacité d'un Kant lorsqu'il tente de décrire les structures a priori de l'homme, structures communes qui semblent indiquer que chaque homme se représente et se constitue un monde à partir d'une sensibilité et de catégories identiques, du moins dans leur essence.

Mais de toute façon, puisque le sens n'est rien d'autre que l'image ou le sentiment produit en nous par une certaine sémantique, il demeure non seulement impossible pour moi de savoir ce que suscite réellement en vous l'affirmation suivante: "la Terre est ronde", mais en plus d'attester qu'il ne s'agit pas d'une pure tautologie en ce sens que tout langage n'est que le redoublement sémiotique d'un réel qui ne se donne qu'au singulier.

TE BE CONTINUED...

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