dimanche 22 juin 2014

L'âme en chantier

Pourquoi écrire? Le bonheur ne serait-il pas plutôt dans la pratique musicale? Et s'il était dans le dessin? Ou peut-être dans le sport? Pourquoi pas dans la contemplation et la solitude? Mais l'autre alors ne viendrait-il pas à manquer? Bonheur dans le Tout ou bonheur dans le rien? Dans le singulier ou le pluriel? Illusion de la multiplicité comme donnant la somme de toutes choses et illusion de l'unicité comme contenant la totalité d'un multiple à dévoiler.

Toujours une quête, une route que l'on cherche du coeur, qui nous emmène sur tous les sentiers que l'on croise et qui jamais ne sont La voie, La route, celle qui contient toutes les autres. Refus de la finitude ou bien acceptation de cette totalité temporelle et détotalisée que nous sommes?

Je me vois arpenter une route et chercher du regard toutes les autres. Je me vois sauter d'un chemin à l'autre, faire demi-tour, rester interdit face à tous les carrefours et m'affoler tellement que le souffle parfois me manque.

Farandole des désirs impromptus, essence de mon véhicule, moteur qui jamais ne cesse de ronronner, d'agiter en tous sens, moteur à explosion qui pousse toujours plus loin, toujours vers l'ailleurs, l'ailleurs toujours meilleur.

Si je tends la main et me mets à danser, rapidement je suis pris dans un tourbillon d'invitations, je tourne sur moi-même et me perds douloureusement, appartiens à ces danseurs qui ne sont que les illusions que je projette au-devant, objets que je mets face à moi afin de les saisir. Ce vide que j'étreins tout le temps, cet objet qui n'existe pas et ne le pourra jamais.

Et je regarde mes mots, lorsque je daigne revenir à eux. Il y a bien quelque chose de moi en eux, les voilà animés d'un battement qui ressemble à mon coeur, mon souffle est une ponctuation.

Se saisir du monde pour se saisir de soi, sonder l'altérité pour qu'elle nous parle de nous. Ventriloques trompés qui parlons à nos marionnettes, celles-là même à qui nous prêtons vie. Le moi est partout, mais il demeure à lui-même éternellement insaisissable. On ne peut s'imaginer soi, ni se tenir comme un objet, se comprendre comme un tout: chose unique et fini que l'on contiendrait en soi. Car enfin comment une chose pourrait se contenir elle-même?

Nous n'attrapons jamais que quelques reflets et des parcelles de nous-même, quelques hectares de terrain sur l'épiderme du Tout. Nous sommes ce que nous percevons et l'action même de percevoir, nous sommes ces images fugaces de nous-mêmes ainsi que celui qui capture les images, et celui qui les projette, tout comme le spectateur et l'acteur, nous sommes la salle et tout ce jeu qui se déroule. Nous sommes l'homme (mais qui pourrait dire ce qu'est l'homme?) et le monde, le temps, l'action et tout autre concept censé décrire la réalité objective qui demeure pourtant irrémédiablement subjective, désespérément personnelle.

J'ai dit un jour que l'homme était un arbre qui avait le vertige, voilà bien la force et la faiblesse de l'homme: devenir son propre dupe, ignorant de lui-même, ignorant parce qu'ayant produit la fiction de la connaissance, connaissance qu'il ne peut pas même expliquer ou définir, et encore moins justifier.

Celui qui croit connaître se condamne à l'ignorance, celui qui poursuit la totalité se voue à la division.

Avant que de vouloir savoir, peut-être devrions-nous nous contenter de vivre, voilà qui n'est pas rien.

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