jeudi 21 novembre 2013

Les poupées russes

L'homme en bleu s'est retourné sur la rue silencieuse
Ses yeux et sa conscience se confondaient avec elle
Etrangère offerte à tous les vents, impudique et vicieuse

Mais la rue était pleine et l'humain plein de vide
Sons, images et odeurs s'écoulaient en lui
Tel un supplice de Danaïdes

Il reprit sa route et se fit horizon
L'air l'emplissait d'une fraîcheur fugace
Il avait froid en toutes saisons

Sous les pas une espèce de matière résistante
Qui s'insurgeait en écho contre le choc des semelles
Imposait à son corps sa présence insistante

Quelque chose était par lequel toute sensation provenait
Un commerce entre les lignes de démarcation
De ce monde où seuls les limites semblaient exister

Chaque limite enfermant sa citadelle imprenable
Et mystérieuse comme l'inexistant
Enveloppée sur soi et sa source ineffable

Partout des formes aux contours marqués
Se heurtant les unes aux autres
Partout des frontières et nulle intériorité

La silhouette longiligne s'avançait dans un balancement
L'air effleurant son enceinte
Et ses murailles molles autour d'un coeur qui ment

L'épiderme soutenu par une cathédrale squelettique
Dans la nef: des organes
Et toujours des formes dans d'autres formes mutiques

Des poupées russes, voilà toute la création divine
Choses séparées d'autres choses
Et toujours des vitrines en face d'autres vitrines

Les passants déambulent dans la rue de tous les mystères
Chaque serrure formule son interrogation
Jamais encore les magasins n'ont ouvert

Rideaux et portes demeurent à jamais closes
Tout juste quelques devantures faméliques
Certaines au contraire plus grandioses

Autant de visages figés dans une mine racoleuse
Que le passant mange des yeux
Engorgés de ces images fabuleuses

Le vieil homme observe la parfaite géométrie des corps
La glace si lisse et
Les arêtes si droites de tous les sémaphores

Aujourd'hui encore rien n'est ouvert
On se demande quand le jour viendra
En regardant ses rêves prendre la poussière

Le monde à l'intérieur résonne de sa vacuité
Il faudra bien que l'Autre ouvre sa porte
Nous dise un jour ce que l'on est

1 commentaire:

Gérard a dit…

Un poète naît. J'aime. Complexité et maturité s'allient, fond et forme en parfaite harmonie.
Encore...

G.S.