jeudi 14 novembre 2013

Le corps

Si l'on me demandait à quoi sert l'esprit, ou plutôt l'éducation de l'esprit, la culture, la réflexion, la logique et toute autre faculté de l'âme que nous apprenons et entretenons, je dirais : à se rendre plus libre. La connaissance et l'intelligence rendent rendent l'homme libre (si l'on comprend la sagesse, aussi abstrait que soit ce concept, dans la notion d'intelligence). Elles le rendent libre en ce sens qu'elles lui ouvrent un choix de possibilités toujours accrues, l'esprit, acquiert de la puissance d'agir, il se forge ses outils qui sont autant de moyens pour l'action.

Maintenant si l'on me demandait à quoi sert le corps, ou plutôt la culture du corps, l'entraînement, le conditionnement et toute autre pratique physique visant à éduquer le corps, je dirais : à se rendre plus libre. Qu'est-ce que s'entraîner et cultiver son corps si ce n'est augmenter sa puissance d'agir ? On pousse le corps dans ses ultimes limites, régulièrement, selon un plan défini, afin que ce qui était auparavant la limite devienne désormais la norme. Par cet exercice la limite est sans cesse repoussée. Ainsi l'on se dote de moyens nouveaux pour l'action, le mouvement est plus libre, plus délié, des gestes auparavant impensables sont aujourd'hui possibles, nous pouvons faire bien plus de choses et cette puissance se ressent, actualisée ou non, elle est là, à la base de notre être, infuse dans chaque membre, jusque dans les poumons qui nous font désormais bien mieux respirer.

La culture physique n'est pas cette absurdité vaniteuse dont quelques envieux n'ayant pas la volonté nécessaire la qualifient. Ce sont ces mêmes gens qui vont passer leur temps à faire l'éloge de l'éducation spirituel, de la culture, de l'entretien de la mémoire et j'en passe, et qui sont incapables de s'apercevoir qu'ils sont aussi un corps, que peut-être l'esprit lui-même est une émanation de ce corps, allez savoir... C'est de toute façon par leur corps qu'ils nourrissent leur esprit, rien ne vient à l'esprit qui ne soit passé par le corps. C'est donc l'expérience qui délimite le champ de la pensée et plus l'étendue de l'expérience est vaste, plus la pensée peut se nourrir de mets différents et ainsi croître en proportion. Entretenir son corps c'est donc rendre possible des expériences qui n'étaient auparavant pas possibles.

La culture physique en tant qu'expérience nourrit l'esprit, et l'esprit peut à son tour nourrir l'expérience en la guidant. Il est fascinant de voir comme après des années d'un même mouvement, on se met d'un coup à comprendre quelque chose, comprendre la douleur que l'on ne reliait à aucune cause et qui maintenant s'explique. On se familiarise avec son corps et l'on apprend à se servir de ses capacités de manière optimale. On apprend aussi à optimiser ses capacités en les développant. Cela s'appelle se rendre plus libre. Car le corps en tant que véhicule du mouvement est structuré selon un certain schéma, il comporte des principes à respecter, et ce n'est qu'avec une longue pratique réfléchie que l'on peut les intégrer et ainsi augmenter la symbiose de l'âme et du corps. Nous apprenons à mieux nous habiter nous-même.


Le corps entier est un langage mais combien l'oublient ou ne l'ont jamais su ? Comment peut-on reprocher à quelqu'un son amour pour une langue ou bien le temps qu'il passe à s'y exercer ? Comment peut-on mépriser le résultat d'un tel effort, visible dans la grâce, dans la précision, dans l'efficacité accrue ? Il y a une manière d'utiliser son corps et celui qui se vante de rester ignorant sur ce point, parce que ses bribes de connaissances instinctives lui permettent suffisamment de choses, se ment à lui-même. Pourquoi irait-il dans ce cas se fatiguer à lire aussi souvent, à retenir des choses inutiles, à se poser des questions ? Parce qu'être libre c'est savoir dans un premier temps s'habiter, et qu'ensuite, s'habiter permet d'habiter le monde. Nos corps parlent et nous ne les écoutons pas. Apprenons leur langue et dialoguons autant avec l'esprit qu'avec le corps, nous avons, me semble-t-il, tout à y gagner.

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