samedi 23 mai 2020

Regarde tomber les mondes

 

Observe en silence et regarde tomber les mondes un à un. Des mondes sans homme, des hommes sans bêtes, des mondes surpeuplés, des mondes inventés, des monts des merveilles, des abysses, des abîmes, des trous sans fonds où perdre sa raison dans le train des idées.

Regarde tomber l'existence à terre et regarde s'effriter la terre. Regarde sous tes pieds le ténu fil qui maintient la conscience d'exister à flot, regarde le, ce fil, s'élimer sous tes pas et regarde en arrière, ose le voir se défaire. Peut-être n'a-t-il jamais existé, ce fil que tu arpentes comme un chemin certain?

Regard panoramique, constellations d'étoiles trop lointaines, les cartes se mélangent et le désunivers te prend, il se régale de ton angoisse, de ta carcasse, de tes doutes, de tes croyances absurdes. Où es-tu maintenant?

Au néant! Au néant des destinées rêvées, au bout des choses indéfinies. Le bout sans bout de Tout.

Cours, cours petite bête angoissée, cours depuis le départ fantasmé jusqu'à l'arrivée de poussière qui sera le linceul glacé d'où tu contempleras les fantômes de victoires, de défaites, les fantômes de ta tête...

Gratte-toi la tête et voit tomber les mondes comme pellicules de photographies jaunies et consumées avant de toucher terre.

Et si la terre était un mensonge de plus que tu te fais en silence, par illusion consentie?

Tout cela est nécessaire, tout cela doit arriver. Oublie la raison suffisante, les fils incroyablement emmêlés de l'écheveau causal sont trop nombreux pour que tu les dénombres. Ton petit système cartographique, ta clôture insensée, la forme où tu te meus n'est rien, ou pas grand chose, une facétie de destin; tout comme l'air que tu conçois juste avant de le respirer, parce qu'il faut bien respirer après tout, sinon de quoi pourrions-nous vivre...?

Tu peux bien te figer dans d'infinies variations de positions du lotus. Tu peux méditer, imaginer l'union réalisée entre toi et ce mot que tu brandis comme étendard. Le réel n'est rien pour toi et l'Être encore moins.

Avance sur les courbes de ta petite image, reconnais face au miroir une forme qui te définis, et l'éclair d'un instant de vérité, vois tout cela se défaire d'un seul coup dans les tréfonds d'un doute étincelant, d'un vertige ravalé.

Non ce n'est pas la peste qui te mange, c'est la vérité petit homme, la vérité d'un cri que tu choisis pour signe de tout ce qui t'échappe.

Où tu te trouves n'est pas vraiment ici. Ce n'est jamais vraiment maintenant ou tout de suite. C'est toujours à côté. Dans l'innommé, l'ignoble relativité qui t'écartèle dès l'origine car tu n'es pas un point... L'atome n'existe pas autrement qu'en des contes de laborantins. Tu ne l'as jamais vu, tu ne vois jamais le fil primordial qui ourdit les complots de vie, tu ne vois jamais la chose ni la base de ce qui est.



Est-ce si douloureux? D'être dépourvu de centre, de fondement pour se dresser? Mais s'il n'y a rien sous le rythme ténu des songes, qu'est-ce donc qui te maintient conscient?

Regarde ton esprit siphonner les étoiles et plonge dans leur coeur. Jusqu'à la singularité, celle qui ne rentre pas dans ton puzzle car elle est la pièce informe qui l'entoure et le rend possible.

Possible, tout au plus un possible, une histoire sur le papier d'un tout, constitué par toi. Tu ne sauras jamais s'il s'est réalisé.

Va serein, va. Meurs pour un Dieu, tu ne sais pas même ce que sont tes idées. Meurs pour ce que tu auras choisi en ignorant ce qu'est la mort. Y a-t-il seulement un pont, une porte mythique que les âmes traversent au bout de leur récit? Y a-t-il seulement un voyage? Et si tout s’arrêtait ainsi, dans le néant qui annule même jusqu'à ce qui a existé?

Serait-ce intolérable que tu sois passé par ici sans jamais pourtant l'avoir fait? Serait-ce intolérable qu'une gomme nihiliste efface après ce court trajet le sillon de ta flamme?

Autant rester immobile, d'une illusion d'immobilité cependant, car tu n'es pas la cause de tes actes et même en ne faisant rien, tu es fait par ton corps, par ton âme, par tous les pores de l'existence qui t'excède et te porte en son giron mystérieux.

Médite, toi qui aime te donner du pouvoir, t'inventer des responsabilités futiles, médite sur ce coffre qui n'a pas de clé.

Moi aussi je suis comme toi. Suspendu dans l'instant d'une vacuité monotone qui ne cesse pourtant de m'étonner. Suspendu et agité par le remous de mes propres images, artisan de mon propre souffle.

Et si quelque chose, quelque part, cessait de relater cette histoire, si ce rien là demeurait insignifiant, rétif à dessiner la main qui se dessine elle-même pour se rendre possible... Et si tout s'arrêtait, comme cela, comme si tout ça n'avait jamais eu de début, pas la moindre once d'actualité...

Et si nous n'étions pas qu'un concept, une distance, un vide, la condition de choses qui sont; que serions-nous de plus...?



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