dimanche 10 avril 2016

Les formes et les lois

L'homme est un législateur par nature car il ne peut vivre dans le réel, mais seulement dans un cosmos, avec un ordre dont il est la mesure. La règle et l'habitude sont les ciments de sa demeure: il faut à l'homme rythmes et structures car il est lui-même rythmes et structures. C'est aussi pour cela qu'il ne peut concevoir le réel que négativement, comme une chose sans rythme et sans structure, ou au-delà des rythmes et des structures, ou encore à la fois tous les rythmes et toutes les structures; mais tout cela revient à dire la même chose. Le réel, en tant qu'il est cet autre que nous, cet au-delà de nos déterminations, est notre condition de possibilité, mais il ne peut y avoir de comparaison (et donc de différence) que parce qu'il y a identité (de substance).

L'homme est un législateur comme l'est toute forme qui émerge du possible indéterminé. Toute forme est loi.

4 commentaires:

Démocrite a dit…

En effet cher Dilettante,
l'homme est législateur et à ce titre il est piégé par le système représentatif qu'est le langage. Si ce dernier recouvre le réel, il ne l'abolit pas. C'est pourquoi, "le réel est autre que nous" mais uniquement du point de vue de la représentation. Car nous sommes aussi des configurations réelles. De ce fait, s'il est impossible d'échapper à la détermination du symbolique, il est néanmoins possible de placer le réel dans la psyché. Comme le note Marcel Conche, "on ne peut connaître le réel mais on peut le penser". C'est d'ailleurs le moyen par lequel nous sortons un peu de notre condition délirante. Le réel troue le système symbolique pour le meilleur comme pour le pire. Qui pourra accueillir ces trous ? Ici surgit une conscience philosophique qui se tient d'autant plus à distance de la magie du langage qu'elle est à "l'école du réel" pour parler comme Clément Rosset, "ce qui est aussi difficile que rare".
Bien amicalement

L'âme en chantier a dit…

Bonjour,

tout à fait d'accord, comme je le dis, si une comparaison entre le réel et nous est possible c'est qu'il y a identité. Nous sommes du réel. Quant à savoir s'il est possible de penser le réel, je reste interrogateur: qu'entendons-nous par "penser le réel"?

À mon sens le réel est une chose que nous ne pouvons penser que négativement, c'est à dire sans en donner de déterminations parce qu'il est toujours et la détermination par laquelle nous le percevons ou l'expérimentons, et l'indéfinité des autres déterminations possibles (y compris celles hors de nos catégories de pensée et donc impensables).

Pour moi, le réel est multivers où "multi" recouvre une indéfinité de mondes possibles. Je peux regarder telle pierre dans tel contexte, ce que je perçois est réel mais n'épuise pas pour autant le réel en question, la chauve-souris percevra un réel autre, et ainsi de suite. Je ne peux interagir avec le réel autrement que par le prisme de mes formes transcendantales, y compris lorsque j'utilise le biais d'un outil comme sonde (il faut que j'interprète les résultats de la sonde, je suis donc là aussi bloqué dans mes limites interactionnelles). Donc penser le réel revient pour moi à penser négativement, en disant, c'est cela et toute cette indéfinité de choses auxquelles je peux penser ou non.

C'est un peu comme vouloir penser la condition de possibilité de nos pensées: cela ne mène qu'à des abstractions de moins en moins déterminées, jusqu'au seul concept de puissance pure, c'est à dire d'indétermination (qui n'est pas pensable en termes positifs).

Mais je m'emballe, je serais curieux d'en savoir plus sur ce que vous appelez "penser le réel", afin de voir si nous utilisons grosso modo les mêmes champs sémantiques.

Démocrite a dit…

A partir du moment où vous cherchez à déterminer le réel, à le qualifier vous tentez d'élaborer une connaissance. Cela, vous l'avez bien noté, est impossible.

L'impossible ne détruit pas en soi la présence du "il y a". L'énigme est la source féconde de la pensée, ce à partir de quoi vous écrivez et vous vous interrogez. Penser le réel ne se donne qu'en se retirant telle la vérité toujours voilée (alètheia), rétive à toute signification. Penser le réel consiste non à se le représenter mais à le placer psychiquement comme centre énigmatique autour duquel s'enroulent des actes interrogatifs, des manières plus ou moins subtiles de "faire signe vers", autant de métaphores qui témoignent d'une dynamique propre, nourrie de ce qui à la fois en soi et hors de soi, dans la pensée et hors d'elle.

J'ai écrit il y a quelques temps des aphorismes sur ce sujet :
http://clinamen.canalblog.com/archives/2015/10/12/32766066.html

L'âme en chantier a dit…

D'accord je comprends mieux ce que vous voulez dire par là. En tant que source d'inspiration, oui je vous rejoins pleinement. Je crois d'ailleurs que nos blogs sont une preuve éclatante du fait...