samedi 9 avril 2016

Morale et hypocrisie nécessaire

Qu'est-ce qui empêche des hommes (certains du moins) de faire du mal à un autre, ou même d'avoir des états d'âme face à l'abattage d'animaux à des fins alimentaires?

Il s'agit principalement d'une question de morale qui consiste à ériger une grille d'évaluation axiologique du monde servant à guider et légitimer les comportements par l'attribution de valeurs plus ou moins grandes à des choses et des actions s'exerçant sur ces choses.

La morale trouve son essence et son fondement dans l'empathie, sentiment basé sur l'egocentrisme et permis par le caractère réflexif de la conscience. L'empathie est une anthropisation du monde, plus encore elle est une égoïsation dans le sens où elle conduit l'individu à considérer autrui comme un autre lui-même, c'est à dire à juger de sa valeur en fonction de la capacité à s'identifier à lui. S'identifier à une personne, c'est pouvoir (virtuellement) se mettre à sa place, ressentir pour soi les sentiments qu'on lui suppose grâce à cette identification qui nous fait vivre les évènements de sa propre vie par procuration. Il s'agit donc d'une projection.

Pourquoi un végétarien éprouve-t-il de la peine à l'idée de tuer des animaux pour se nourrir, mais aucune hésitation lorsqu'il consomme des végétaux, fauche les formes que la vie a lentement esquissée? La réponse ici est assez simple: il ne ressent pour le végétal aucune empathie: il n'y a pas assez de ressemblance entre lui et cette chose pour qu'une projection identitaire puisse opérer. Il ne faut pas nuire aux animaux car ils ont un système nerveux et ressentent la douleur, et puisqu'ils sont animés, on les suppose eux aussi dotés d'une âme qui les laisse potentiellement en proie à la souffrance. Dans la souffrance d'autrui, c'est le reflet de la nôtre qui nous rebute, mais comment imaginer une quelconque souffrance chez un être inanimé? Pour cela, le végétal peut-être utilisé en tant que moyen et non fin.

Ici l'humain a jugé: seule la souffrance est à proscrire, puisque c'est son seul critère de ce qui est à éviter. Par cette empathie totalitaire, il ne parvient plus à attribuer une valeur quelconque à ce qui lui est absolument étranger. Toute action qui s'applique sur une chose envers laquelle une identification n'est pas possible est systématiquement dévalorisée, à moins qu'elle n'ait de répercussion in fine sur un ou des êtres compatibles avec l'empathie (on peut imaginer comme exemple la destruction d'un paysage aimé).

Que pourrait-on imaginer de pire que la souffrance? Quels évènements dans l'existence d'une chose dénuée de sentiments sauraient être jugés négatifs et à éviter, puisqu'on ne peut imaginer ni concevoir quelles en sont les conséquences dès lors qu'elle sortent de la forme psychique auquel nous sommes par essence attachés? Comment juger de ce qui échappe à la compréhension (empirique) d'un être humain, à ses catégories, à ses formes transcendantales (et par essence limitantes)?

Ainsi la morale, loin d'abolir réellement la violence, l'érige en principe à travers une gradutation axiologique des choses et comportements associés, qui permet de déguiser son arbitrarité en loi naturelle. C'est ici toute une espèce qui impose au monde sa vision légitimée par un aveuglement devenu loi. La loi ainsi acceptée dispense les individus qui s'y réfèrent d'une casuistique paralysante qui menacerait autrement le moindre de leur acte et jusqu'à leur survie.

La survie est une opposition de forces et par cela produit en permanence des rapports de domination que la violence exprime. La morale est une manière commode de s'affranchir de la responsabilité d'un tel état de fait, elle est par nature implicite et contenu dans les moeurs d'une espèce ou d'un individu, mais l'humain, par le langage, l'a conceptualisée et lui a donné le statut d'objet autonome.

Chaque espèce (et plus fondamentalement chaque individu) ordonne le monde à son image, seul l'humain a besoin pour cela de l'hypocrisie de la morale.

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