mardi 24 mars 2015

L'arbitraire et le nécessaire

Ecrire est une manière de mourir, pour moi, qui s'accorde mal avec le retour des jours de douceur où lentement cuisent les désirs, attisés par les langues voluptueuses d'un soleil licencieux. En ces jours, je n'écris pas, je vis. J'aime vivre bien plus qu'écrire. Tout comme j'aime écrire bien plus que vivre. Chaque saison, chaque seconde, son désir et sa complexion, chaque instant sa vérité qui n'en est pas une.

Toutefois, dans cette oisiveté lénifiante où je m'ébats, se tapie une envie de créer qui semble être issue d'un désir de mort inaltérable et ne connaissant, comme la flamme éternelle, que des soubresauts et des vacillements incessants, qui font de l'homme une chose aussi évanescente que le vent. Je me remets doucement à lire quelques ouvrages scientifiques, à mon rythme du moment, c'est à dire pas plus qu'une poignée de pages par semaine. J'ai toujours été lent, je dois dormir sur les choses pour qu'elles s'assemblent avec cohérence dans l'immense dédale qu'est le système de ma conscience. J'ai donc savouré ces pages, et j'ai compris quelque chose, un chemin se dessine doucement, que les années et les informations confirment. Je dois écrire quelque chose sur la science, et cela me prendra certainement du temps (la procrastination n'aidant pas).

Je garde tout cela dans les rayonnages infernaux de ma volonté diffractée, j'y reviendrai peut-être un jour, ou peut-être pas... J'ai toujours vu plus de vanité dans cette poursuite du vent qu'est la science (en terme général), que je ne m'éreinte plus à courir après les édifices intellectuels. Tout cela sera balayé d'une manière ou d'une autre, que ce soit par une altération physique irrémédiable ou bien par une infirmation d'un temps à venir. Si cela demeure, ce ne sera de toute façon que sous la forme d'une belle histoire, une fiction de plus peinte sur les murs de nos cavernes, un dessin animé de plus sur l'écran de nos vies, en lequel on peut avoir envie de croire ou non.

Pour tout cela, je reste calme, chevauchant le présent sur la planche de mon corps, sentant la vague du présent me faire glisser sur son épaule, dépassant toutes les digues et autres constructions de mes semblables; tout cela disparaîtra de toute façon, tous ces artifices pour retenir le présent et le fixer en un point déterminé... Je ne retiens rien dans ma main et mon troisième oeil ne s'arrête jamais sur un lieu particulier, je n'ai que la pulsation de l'instant pour me retenir, le battement de mes pas lorsque je marche, le sillon plus ou moins harmonieux de mes pensées se concentrant sur la note de mon présent. Je n'écris pas de partition de tout cela, je ne fais que vivre la musique, celle que ce moi-instrument égrène en dilettante sous la caresse du temps-réalité.

Je ne veux rien laisser derrière moi, nulle trace, nulle petite maculature de vanité, aucun désir de gloire, je veux être englouti par le temps et poursuivre la grande métamorphose de l'énergie, devenir autre, véritablement autre, sans retour en arrière.

Peut-être, à cause de cela, n'écrirais-je jamais ces sommes philosophiques qui dorment dans ma tête, me contentant de chanter à tout va ma sombre poésie, comme un choeur accompagnant le chant des choses qui s'en vont. Le monde chante et le bruissement subtil de sa mélodie me parvient aux oreilles à chaque instant de solitude, instant qui me ramène immanquablement face à mes faiblesses d'humain, face aux désirs de gloire et cette dérisoire envie d'admiration. Je suis mon propre censeur, saccageant par avance toutes mes entreprises. Je me contente de ces simples complaintes à la musicalité discutable mais qui me procurent toutefois le sentiment d'accompagner un peu la vie dans son concert, car voyez-vous, je ne peux me départir de cette indéracinable sentiment que tout ici n'est que musique.

Alors je renonce à dire quelque chose du réel, tout juste consens-je à déposer ça et là, dans ce monde virtuel qui ressemble tant à l'esprit, quelques chansons qui sont miennes, les quelques notes qu'aura su tirer de moi ce vieux monde insondable. Et tant mieux si d'autres écoutent cette musique en chantant, tant mieux si parfois les larmes ainsi que le sourire se meuvent sur leur visage, tandis que le long filet de mes mots coule lentement comme en sourdine, pour leur parler de ces moments où j'étais là, partie prenante d'une symphonie gigantesque et totale où chaque son est à la fois purement arbitraire et tellement nécessaire

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