jeudi 20 février 2014

Le système synthétique de la conscience [ ESQUISSE ]

Thèse: l'homme est un système de création de sens (c'est à dire d'unité synthétique) à partir de l'altérité.

L'homme agence les données qu'il reçoit du monde extérieur en un ordre propre à lui conférer une unité organique et donc un sens (le sens étant défini comme la cohérence interne entre des éléments divers synthétisés en une unité organique judicative)

Il existe plusieurs niveaux d'interprétation des données: chaque niveau étant l'aboutissement d'une médiation effectuée à partir de l'immédiateté du fait (le fait pouvant se résoudre ultimement à la sensation).

Conséquence: avec les mêmes données, un même homme peut parvenir à une infinité (?) de systèmes, le sens de chaque système étant déterminé à différents niveaux:
  • La valeur quantitative attribuée à chaque donnée (nous verrons plus tard ce point).
  • La valeur qualitative ou interprétative conférée à chaque donnée (celle-ci étant elle-même déterminée à deux niveaux: le niveau de médiation de la donnée (ou valeur paradigmatique) ainsi que la position immédiate de la donnée (ou valeur syntagmatique)).
  • Enfin la mélodie qui est la synthèse totale en une suite temporelle ordonnée des divers éléments (c'est à dire les données). La mélodie est la propriété émergente de tous les niveaux précédemment cités
    .
Remarque: l'organisation de ces différents niveaux n'est pas une organisation hiérarchisée ou transcendantale, chaque niveau est une abstraction d'un tout organique et indissociable. Par conséquent, la mélodie émerge de l'interaction des différents niveaux, mais eux-mêmes sont conditionnés en retour par la mélodie.

Problème: sachant que de nouvelles données viennent perpétuellement s'intégrer au système, comment distinguer si le travail de médiation n'est pas un simple effet de réagencement du système s'opérant lors de l'intégration de nouvelles données? Ceci aurait pour conséquence l'impossibilité d'un accord objectif entre les systèmes de sens: l'expérience d'un individu étant irréductible à celle d'un autre, même en condition identique (une donnée n'est jamais la même chez deux individus différents quand bien même sa source ou cause serait pourtant identique; ceci est notamment dû au fait que toute donnée subie une intégration dans le système, système qui dès qu'il vient à être est unique d'une part dans son être, d'autre part dans son expérience (contexte spatio-temporel)).

On peut illustrer cet état de fait par une métaphore musicale: chaque conscience (ou système) n'écoute jamais que sa propre musique, sa propre interprétation d'une partition universelle. Cette dernière étant muette, la musique ne peut naître que du jeu des instruments (les consciences) or chaque instrument étant unique et possédant par conséquent un timbre singulier, il est impossible que la partition donne lieu à des interprétations absolument identiques.

Par conséquent, étant donné que chacun part d'éléments plus ou moins différents, l'unité (ou relation, ou liaison) que doit opérer l'esprit sur eux, ne peut être identique d'un individu à l'autre.

En outre, la différence augmente proportionnellement au nombre de données intégrées (il serait plus juste de parler de flux d'information, fragmenté ensuite en données unitaires), les individus se différenciant sans cesse, accentuant ainsi leur singularité.

Question: comment dans ce cas expliquer les communautés d'idées, les accointances entre systèmes?

Hypothèse: par attribution de valeurs quantitatives aux données, certaines étant alors jugées comme insignifiantes (identiques à du bruit) et demeurant alors quasiment ignorées, d'autres faisant l'objet d'un consensus dans leur interprétation, ouvrant ainsi la voie à des convergences possibles.

Problème: comment un consensus peut-il exister si toute donnée est interprétée de manière singulière par les consciences?

Il faut supposer des structures a priori (Kant) de la conscience, seules à même de permettre une certaine objectivité. On peut même aller plus loin en supposant une conscience pré-reflexive identique en chaque individu, la différenciation s'opérant aux tous premiers stades de la médiation. On peut aussi postuler que l'intermédiaire du corps joue un rôle différenciateur mais que les consciences, restent capables de saisir l'objectivité sous-jacente au niveau pré-reflexif et parviennent ainsi à démêler l'objectif initial du subjectif.

Problème: l'objectif est-il initial ou bien est-ce le produit d'une médiation?

Hypothèse: il doit se situer à la fois dans l'hypothèse de structures a priori et en même temps dans une synthèse des singularités, en examinant la forme résiduelle qui ressort de cette synthèse. Ce travail est un processus d'épuration nécessaire en ce que les structures a priori ne peuvent être pures, la conscience étant conditionnée par l'état du corps et par son contexte. Le travail d'épuration est alors une tentative de fonder l'objectif à travers la confrontation des singularités, pour voir si une base commune se dessine peu à peu. Par conséquent l'objectif n'existe pas réellement, comme une donnée, il est un état imaginaire maintenu par les consciences individuelles dans un effort de s'approprier l'interprétation de chacune d'entre elles (et de toutes les interprétations possibles) et de créer à partir de cette multiplicité une unité fictive, une forme générique de l'interprétation.

Problème: comment les consciences communiquent-t-elles? Quel critère leur permet de savoir qu'elles parlent d'une même chose? Comment peuvent-elles savoir que l'interprétation d'une donnée qu'elles attribuent à une autre conscience est effectivement l'interprétation de cette conscience?

Ce problème est épineux et pose tout simplement la question de la possibilité de communiquer et surtout de se comprendre. Fonder l'objectivité sur la synthèse des subjectivités requiert pour une même subjectivité de pouvoir connaître ou plutôt être celle des autres, ce qui semble impossible. Il faut donc se rabattre sur la conscience pré-reflexive, mais cette dernière n'est elle-même qu'une conscience générique, une entité hypothétique dont la vérification empirique semble incertaine pour ne pas dire impossible. Pourtant, nous devons bien admettre qu'une telle objectivité semble exister, notamment à travers l'exemple des mathématiques par exemple. Si nous pouvons nous accorder sur des dates, arriver tous à la bonne heure à un rendez-vous, fabriquer des avions ou même calculer une vitesse à partir d'une heure de départ et d'une heure d'arrivée, c'est qu'existe, d'une manière ou d'une autre, une forme d'objectivité partagée par les consciences. On reconnaît ici le point traité brillamment par Kant dans la Critique de la raison pure, mais l'existence d'une aperception originaire et de structures a priori, aussi difficilement niable soit-elle, semble insuffisante puisque, comme nous l'avons vu, la présupposé d'une conscience pré-reflexive ne semble être qu'une abstraction imaginaire invérifiable empiriquement: chaque conscience est une tonalité particulière du fait de son contexte et de son expérience. Quand bien même toutes les fonctions de l'esprit (ou opérations) seraient identiques en chaque consciences, la mélodie et par conséquent les interprétations demeureraient aussi diverses qu'il existe de combinaisons possibles de celles-ci (je ne parle même pas du fait que des données s'accumulent sans cesse contribuant à augmenter exponentiellement le nombre de combinaisons possibles). Ainsi pour rendre compte de l'objectivité, il nous faudra formuler une troisième hypothèse pour ce problème.

Hypothèse: étant aussi des corps (et peut-être même seulement des corps), nous pouvons partager nos impressions en les basant sur l'altérité matérielle (source apparente des impressions) que tout un chacun peut éprouver. Nous pouvons tous toucher une barre de métal qui sert de référence à la longueur du mètre par exemple. Mais il faut émettre un bémol ici: le toucher semble être un sens particulier puisqu'il est le seul qui nous ramène autant dans la matérialité pure en faisant de nous un corps parmi les corps. L'ouïe, l'odorat et la vue semblent bien plus problématiques puisqu'ils semblent impliquer une implication subjective et judicative accrue. Non, on peut annihiler cette distinction et placer le toucher lui-même au niveau des autres sens puisque nul ne nous dit que toucher un même objet impliquera pour chaque conscience une représentation (ou interprétation) identique. Donc nous restons avec le même problème: d'où provient l'objectivité si chaque individu est contraint à la subjectivité? Je n'entrevois, pour le moment, qu'une solution à ce problème: les signes que nous employons (voir partie sur l'objectivité).

Remarques sur la médiation: la médiation s'opère lorsqu'un des systèmes (en supposant bien sûr que le processus de médiation ne soit pas seulement un effet de l'intégration de nouvelles données) est tourné vers lui-même, autrement dit qu'il entre dans une phase de réflexion. Ainsi, il se creuse en quelque sorte, et s'enrichit d'un ou de différents point(s) de vue sur lui-même. Par cette action, l'interprétation des éléments change (phénomène de médiation) par le simple jeu de l'action interne (au système) des éléments entre eux: la médiation est un auto-réagencement actif du système qui passe par la réflexion afin de produire de nouvelles valeurs (employé sans qualificatif, le terme valeur vaut pour toutes ses déterminations possibles).

Problème: s'il existe bien une certaine objectivité permettant aux hommes de s'accorder sur un même diapason, un même critère objectif, alors il faut expliquer l'origine des révolutions de la pensée, des renversements de valeurs, c'est à dire des sens radicalement nouveaux qui peuvent émerger de temps à autres (d'autant plus dans les domaines où l'objectivité est intentionnellement entretenue). Par exemple en science: comment la révolution quantique fut-elle possible dans un domaine tel que la physique par exemple (espace non-local, intrication, superposition, etc., autant de bouleversement des interprétations consensuelles)?

Hypothèse: chez certains individus, la médiation est tellement poussée et intense (phénomène ni positif ni négatif) que la réflexion du système sur lui-même engendre une métamorphose rapide du sens de chaque élément et de la mélodie globale du système.

Remarque: tout l'art du philosophe, et plus généralement du didacticien, consiste en l'utilisation optimale de signes afin de produire une suite de données se combinant en une unité organique porteuse de valeur (le raisonnement discursif), à même de reproduire de manière accélérée en autrui, par assimilation, le processus de médiation ayant mené à cet état de sens (mélodie).

La confrontation inter-individuelle des médiations, autrement dit des réflexions propres à chaque système (le dialogue par exemple) permet d'harmoniser les valeurs et notamment de fixer celles-ci en un consensus ferme, par le biais de la valeur quantitative. De plus, le dialogue produit un nouveau système inter-individuel générateur d'une méta-signification, c'est à dire d'une unité synthétique de toutes les mélodies nommée symphonie.

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