mercredi 19 février 2014

L'âme en chantier

Ne jamais se reposer sur ses lauriers, se restreindre. Rêver grand, rêver immense voire impossible, à l'encontre de tous les conseils avisés des gens autorisés, faire éclater leurs frontières de crainte. Ceux qui veulent vous contenir dans leur conscience ne sont que des points minuscules qu'il vous est possible d'avaler d'un seul coup. Ils veulent faire de vous un objet dans leur monde, faîtes d'eux-mêmes des univers infinis contenus dans le vôtre qui enfle éternellement, démesurément. Soyez toujours le négatif de leur positif, soyez l'au-delà de leur pensée, l'envers de leur jugement. Ne jamais se reposer en une forme: toujours la travailler, la ciseler, ne pas hésiter à la fondre totalement en une forme nouvelle, inédite, devenir une forme de formes.

Par conséquent ne prenez aucune leçon pour un acquis, à commencer par celle-là qui, plus qu'une leçon, est un vade-mecum à mon intention. Tous les professeurs (au sens de ceux qui professent) sont des impasses de la pensée, ils sont une unité imaginaire qui s'est cristallisée en croyance solide, leurs propos ne sont qu'une morale recouverte de son propre cadavre, à jamais enfermée en un moment révolu de son existence. Mangez-les; tous...

Méfiez-vous de ceux qui écrivent, de ces gens qui souhaitent contempler l'effet que leur pensée peut procurer sur autrui, qui voudraient l'enfermer en la coupant de sa source, de son jaillissement jaculatoire. Méfiez-vous de ceux là, eux qui prétendent enfermer la philosophie dans les livres plus que dans les têtes. La pensée est une naissance-mort-naissance qui se fait dans l'instant, la naissance étant déjà la partie liminaire de la mort qui à son tour n'est que l'entame d'une nouvelle vie. La parole pense, le sens émerge du jeu de la totalité des forces en présence, rappelez-vous la valeur saussurienne. Voilà la pensée, voilà la philosophie: dans les dialogues, dans les échanges qui partent du silence et reviennent à lui, dans le brouhaha incessant des arrière-boutiques de l'esprit. La pensée n'existe pas, seul existe le penser, l'acte lui-même, le sens n'est jamais qu'éphémère, expression d'un moment, d'une synthèse temporelle d'éléments matériels qui, agencés d'une certaine manière (une manière temporelle, tout comme une mélodie est un agencement particulier de données spatiales figées), produisent un sens, une sorte d'unité synthétique dont le liant est le temps, à travers un rythme et une prosodie notamment. Le sens passe, il ne reste jamais prisonnier des écrits, ou bien il doit être recréé à partir d'eux, rejoué. La philosophie ça se joue, et confondre les textes philosophiques avec la philosophie revient à prendre la partition pour la musique elle-même. Chaque interprétation a quelque chose à nous apprendre, elle est la musique, les signes écrits ne sont que des directions, mais le joueur file par lui-même, de sa propre chair et de sa propre musicalité.

Moi, et j'ai certainement tort autant que j'ai raison, je n'écoute plus personne.

Et je ronge de ma conscience la totalité grandissante de tout ce que je peux concevoir.

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