mardi 28 janvier 2014

L'âme en chantier

Aujourd'hui le temps a encore filé entre mes doigts, la sensation qui en a résulté ne fut pas une douceur comparable à celle du sable fin qui glisse contre la peau, mais cette déraisonnable souffrance de voir l'immensité du monde rester réfractaire à la misérable impuissance de notre volonté. Chaque jour je me lève voulant plier le monde à mon rythme et chaque nuit je me couche avec le même constat familier: je n'ai aucun pouvoir. Dans le rythme si lent de ma progression, vers un horizon d'ailleurs inconnu, j'ai parfois l'humiliante sensation de n'être rien qu'un élément ballotté par les forces élémentaires de cet univers. Et pourtant, tel un prescient condamné à garder les yeux ouverts, je vois le futur s'avancer vers mon présent, menaçant et lourd, plein de drames et de tragédies prêtent à se frayer un passage entre les dimensions de ce monde. Je sais qu'un jour, l'amour s'éteindra. Je sais qu'alors la raison m'emportera dans son vide et qu'elle anéantira définitivement les derniers principes qui me tenaient lieu de sol ainsi que la poignée d'illusions et de rêves qui me faisaient office d'horizon. Il n'y aura plus rien, rien que la vacuité du moi qui s'écoule sans cesse hors du temps, à la limite de toutes vérités, sur la ligne de crête du présent où le possible devient acte. Je sais d'avance le destin solitaire qui m'attend, j'en connais l'horreur autant que le sublime. Ma vie ne sera plus que cette relation entre les choses, entre les gens, que j'ai poursuivi inlassablement et qui, je l'espère (?), se livrera un jour. Je ne serais plus que l'agent pathétique de l'univers qui se poursuivra lui-même à travers moi, cet univers qui ne sait ni d'où il vient ni pourquoi il existe, et qui ne trouve rien de mieux que l'humain pour accomplir la quête de son origine. Je me prête à ce maître qui nous domine tous, je m'y soumet et accepte le sort qu'il me réserve.  Je suis l'infatigable marcheur qui traverse les mondes, qui poursuis les lois jusqu'à leur terme et remonte à leur source, je suis le téméraire humain qui plonge sa tête dans les trous noirs afin de voir ce que Dieu veut bien nous dire par là. Je passerai donc ma vie à étudier cette relation, cette interaction élémentaire, afin de comprendre ce qui fait tenir le monde. Je finirai bien par savoir si chaque conscience est un dieu qui se drape dans la voilure du temps, je finirai par perforer mon âme ainsi que l'espace et le temps, je mettrai ce réel sens dessus dessous, je retournerai chaque chose sans aucun égard pour le grand ordre. Que la matrice des mondes, que l'indétermination du virtuel s'inquiète dès aujourd'hui car je suis à ses trousses, que la conscience des consciences sache qu'elle est surveillée, par ses propres enfants, peut-être par elle-même, en tout cas par son reflet. Tous mes regards sont tournés vers ce point d'où nulle lumière ne s'échappe, et d'où le temps semble jaillir en une seule direction. De toute façon, bientôt, je n'aurai plus rien, rien que cette énergie qui sourde en moi et qui n'a de cesse de s'éparpiller en un faisceau désordonné aux éléments mal assortis; alors je ferai le deuil de toutes les destinations qui m'éloigneraient de ce point, et j'irai droit à lui sans jamais m'arrêter, concentrant dans cet ultime effort toute la velléité dont je puis faire montre, celle-là même qui n'a pas cessé un seul instant de me consumer de l'intérieur; j'appliquerai toute ma patience et ma détermination à trouver ce que je cherche, quand bien même il ne s'agirait de rien. Voyez-vous Moires, le monstre que vous créez? Êtes-vous sûr que le cosmos veut découvrir de quel genre de chaos absurde il est issu? Suis-je sûr, moi-même, de vouloir contempler ma mort? D'où me vient cette confiance inébranlable en ma conscience, en son acharnement à vouloir vivre, à subsumer sous son unité absurde les fragments de l'Être qui tendent à s'équilibrer dans l'oubli d'une inexorable entropie? Je la sens si forte, si étrangère à moi, que je me visualise traversant les univers sans jamais périr, amassant ce que nulle raison ne saurait retenir de connaissances dans ce point ultime et immédiat du présent où se condense pourtant toute l'histoire du monde. J'avance d'un pas régulier et trace mon sillon jusqu'aux confins du monde, là où le soir se penche vers des possibles que nul ici ne saurait entrevoir, et pourtant, j'avance aussi confiant que si j'allais contenir en moi plus d'infini que mon esprit ne saurait concevoir. J'avance et tout existe, tout devient; et peut-être est-ce moi-même que je cherche, tel une Atlantide effondrée sous elle-même et qui chercherait à tourner son regard vers cette alme terre d'où proviennent chaque fruits contemplés. J'avance et le monde est toujours là qui épouse mon regard, et cesse aux abords de ce lointain où ma vue se brouille.

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