mardi 7 novembre 2017

L'amoureux des ruines (prose)

Ce poème est censé constituer les dernières lignes d'un roman éponyme dont j'ai terminé le premier jet. Peut-être que je ne l'incorporerai pas, we'll see... Il peut paraître quelque peu mystérieux et abscons en l'état, mais la lecture du roman qui le précède est censée lui donner le sens qu'il recèle. J'espère tout de même qu'il pourra être agréable, lu par vous-même ou par moi.

J'ai pris la liberté par moments de tricher avec la langue française, mais je me le suis permis parce que la poésie n'hésite pas à tricher (du moins historiquement) parfois, en modifiant l'orthographe de certains mots ou autres artifices du même acabit. Vous noterez donc qu'il m'arrive de prononcer un 'e' à la fin d'un mot qui n'en a pas (comme 'sol' par exemple). Les règles d'une langue sont arbitraires et malléables, et s'il faut j'écrirai ma poésie à coups de marteau :-)





Les cieux savent-ils à qui appartiennent ces doux cheveux ces longs cils, qui sous leur derme versatile abritent un grand tourment? Quel est la couleur des nuages celés sous le prénom d'Anis, quel est l'ardeur de ces orages qui sous son crânent glissent? Et si les cieux l'ignorent qui donc le saura? Et si personne ne sait qui est cet hôte élu de la souffrance, qui donc le sauvera? Je jette ici des mots, comme des cordes sur le pont d'un bateau, comme des mains qui raclent tout au fond des eaux, pour déterrer les os du souffrant silencieux. C'est mon ami, peut-être le vôtre aussi, celui dont les maux soufflent comme vent, tempêtes déferlantes, crêtes émoussées, écumes qui dansent au-dedans. Nous existons quand son furieux océan rugit, dans cette mer étale de nos vies, où s'étalent dérisoires nos  vains soucis.

Mais que sais-je moi, matelot des grands lacs, que sais-je du courage qu'il faut, pour affronter les flots. Des mers de colère je n'ai connu que quelques mots, échappés en sourdine de son corps agité, découpés en comptine qui pourraient le bercer. L'humain n'a jamais vu d'atomes mais connait ses effets, agence les fantômes pour s'en faire des images. Ainsi le monde intranquille où lutte un sans repos est devenu pour moi plus net qu'un tableau.

Le cataclysme, j'ai bien du mal à me le figurer. Mais c'est une belle ombre que je vois s'avancer, baguenauder fureter, sur chaque pierre où la folle est passée. C'est un mouvement vif et trop léger pour être capturé, je n'en ai que contours: flammèche mutine affûtée par les airs, qui joue silencieusement une musique de gestes sur des routes inempruntées. Sur chaque ruine où son pied s'est posé, partout lumière et vive légèreté. Tu es la silhouette qui orne les ruines de ta lueur secrète. Héraut du renouveau, la tornade est passée, partout tu chantes ton message en de possibles graines qui pourront germer: orbe-opales plus vastes que notre univers, puisqu'en un seul monde s'écoulent les cosmos comme d'indénombrables sphères.

Tu es l'être vivant logé dans ce pays, au creux des végétaux eux-mêmes qui ont enseveli, les pierres brisés, la poussière du passé qui sur le sol gît. Ils disent - vois entend leur naïveté - que détruire est moindre que bâtir, ils disent que nier n'est rien et pensent te séduire. Mais tu sais mieux que bien, que ton pays nouveau n'est rien, pas même une cendre glacée, sans les griffures du temps, sans le sombre néant, que porte l'ouragan, comme un enfant à naître; progéniture cruelle crucifiant ses parents mais bâtissant le ciel, où luira le soleil des prochaines moissons.

Tu panses les ruines de toutes tes pensées, du sol tu fais pousser les si vertes forêts, des châteaux écroulés tu peins des mélopées aux couleurs de ton sang qu'on aura fait couler. Ce sang où tu trempes la mine de ton âme, sans faire mine qu'il y eût là un drame. C'est bien le tien pourtant, fleuve de l'ancien temps abreuvant du jour nouveau les champs.

Tu n'avais pas de nom hier, tu l'oublieras demain. La tempête divise éparpille au loin, ce qui formait jadis une brève unité. Tu es l'écume phosphorescente qui succède au fracas, le clair soulagement d'un musicale éclat. Pour moi, pour eux, et pour les choses sans nom, tu es à jamais l'amoureux des ruines, s'ébattant sous la bruine de ton défunt parent.

Je ne sais si les cieux savent lire, mais ceux qui savent sauront désormais ce qui se cache sous les cheveux aux vent d'Anis. Peut-être verront-ils enfin - et toi la verras-tu ici? - la fertile élégance des lieux anéantis...