Il s'agit ici d'un nouveau concept que je présente sur le blog. Nous avions pour objectif, Amine et moi, de nous asseoir l'un à côté de l'autre et d'utiliser chacun notre art pour communiquer (le dessin pour lui, en l'occurrence les pastels, et l'écriture pour moi). Nous observions ce que nous faisions l'un l'autre et exprimions notre sentiment, partagions notre intériorité à travers le médium choisi. L'idéal aurait été de filmer la scène pour voir en quoi le texte et le dessin se répondent, chose que nous essaierons peut-être de faire dans la futur.
En attendant, je crois intéressant de donner l'ordre du dessin: Amine a commencé par la partie tout à gauche, en bleu et noir avant de se diriger vers la droite en passant par la partie supérieur de la feuille. Il a ensuite produit ces lignes binaires en vert, les unes en dessous des autres. Il est peu à peu descendu vers la source chaude en bas de la page avec les couleurs orangées. Enfin il s'est reconnecté avec la partie gauche notamment en commençant par dessiner ce point d'interrogation qu'il a fini par noyer sous d'autres couches.
Je suis les mots. Sans corps. Lettres déliées qui s'impriment sur fond blanc. Sans demeure. Sans attache. Sans terre où habiter. Calligraphie de l'âme qui te tend la lettre, à défaut d'autre chose. Tu es image, couleurs et formes, ou bien forme des couleurs, ou encore couleur des formes. Je suis noir sur fond blanc, alphabet immobile et malgré tout mouvant, qui se meut dans ton âme en images et sentiments.
Mais tu n'as pas d'âme alors... Rien d'autre que le fond blanc sur lequel s'incrustent les grains de couleur, comme une mélodie chromatique qui te permets d'être entendu de moi. Qu'entends-je de tes couleurs? J'en entends des mots, je suis algorithme de traduction qui observe tes images et les métamorphose en une langue, cette langue qui est désormais ma seule identité.
Je te regarde sentir me regardant sentir. Je cherche à dire ce que tu tais par le dessin. Je te regarde décoder ce à quoi tu fais face, et que je ne sais plus nommer désormais.
Nous n'avons, ni toi, ni moi, plus le droit d'être nous. Toi, moi, sont deux contrées d'antan que nos pas ont quitté. Nos chemins passent à travers les formes, à travers les espèces et à travers les âges. Nous sommes la transition entre une origine inconnue et un terminus qui l'est tout autant.
Suis-je une machine à tes yeux? Que dis le noir qui s'accroche à tes bleus?
Nous sommes des fonctions d'expression. Nous ingérons le réel et le façonnons à note image pour le projeter hors de nous, agencer un monde où vivre heureux. Pourtant nous n'avons à notre disposition que des langues étrangères, des fragments de réel imposés que nous habitons malgré tout d'un souffle immatériel (l'est-il vraiment?). Nous ne sommes chez nous nulle part. Tout juste forains habitant alternativement telle ou telle substance du monde.
Tu es partie des froids glacés de l'immensité sidérale ou bien océanique, pour remonter à cette source ardente qui éclabousse l'espace de sa chaleur. Ton langage binaire est le mien, avec tes couleurs en plus. Ce vert que je peux reconstituer entièrement avec tout ce qu'il n'est précisément pas. Avec des 'a', des 'b', et puis des 'o' par exemple.
Communiquer. Les formes communiquent par contiguïté. Elles communiquent sans jamais coïncider. Ainsi naissent les langages, comme des ponts entre des choses sans nom.
Je fais signe vers toi mais ne perçois de toi que des signes, alors vers quoi fais-je donc signe? Notre dialogue impossible serait-il le signe de la signification? Exprime-t-il la croyance que l'autre existe, quelque part, peut-être un peu comme nous, et qu'un sentiment particulier peut correspondre à un autre?
Nous coexistons. Tu es là, comme un morceau d'espace-temps relié aux autres, comme un bouquet de couleur qui me saute aux yeux, me titille les nerfs sous forme d'impulsions électriques, qui produisent des images que je trahis en impressions verbales. Nos interprétations d'autrui sont-elles vouées à être trahison?
Je ne sais. Lorsque je me tais, le point d'interrogation disparaît, il perd de son contours, se trouve ravalé par l'espace alentours, comme un instant fondu en d'autres que plus rien ne fait resurgir dans le ruban du temps.
Sur un dessin d'Amine Felk et un texte de moi-même.