mardi 10 novembre 2020

Le vieux monsieur est mort


 

 

 Le vieux monsieur est mort.

On l'a enterré avec un attrape-rêve et trois soldats, des figurines.

Le vieux monsieur est mort.

Celui sur les fenêtres duquel nous lancions des œufs.

Celui contre lequel nous jetions des cailloux, parfois, de loin, pour derechef s'enfuir dans un bruissement de rires.

Le vieux monsieur: celui qui nourrissait les pigeons sur le même banc publique du même parc de la même petite ville.

Celui qui portait deux costumes, un pour les jours de pluies, un pour les rares soleils.

Le vieux monsieur est mort .

Celui qui donnait à tout le monde, dès qu'on lui demandait.

Celui qu'on a volé parfois, parce qu'on était trop jeunes, et qu'on ne savait vouloir que ce qu'on nous disait de vouloir.

Le vieux monsieur est mort dans un cercueil bon marché en bois aggloméré, avec pour seule famille quelques badauds tombés là par hasard et des pelletés de terre en pagaille comme compagnons d'éternité.

Le vieux monsieur...

Le vieux monsieur est mort.

Celui qu'on a cloué un jour sur la porte d'Ishtar.

Le vieux monsieur est mort, avec son sang multicolore, dans son immuable sourire sur fond duquel ressort l'ample tristesse du monde.

Toutes les cloches sonnaient le glas, le jour de son trépas. La ville-église était parcourue de tous bruits: le rire des gens sans peine, les pleurs des oubliés, le klaxon des voitures, le fracas des outils, les grondements de lourds moteurs, le rythme des musiques, et tout cela projeté pêle-mêle dans l'immense atmosphère, accompagnait la mort comme un cirque éphémère.

Le vieux monsieur est mort mais le cadavre est encore chaud. D'aucuns l'ont déterré, découpent dans sa peau se cousent des manteaux; on prélève les organes, organise un festin, on boit son sang indispensable on puise dans ses yeux le savoir ancestral.

Le vieux monsieur est mort.

Cela fait quelque temps déjà.

Chaque jour il fait un peu plus froid.

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