mercredi 30 avril 2014

Proto persona

On n'imagine pas les univers qui dorment en nous à chaque instant, comme autant de possibles qu'il convient ou non d'exhumer. Mon âme peuplée de gratte-ciel infinis qui plongent vers les profondeurs d'une source inconnue, si bas que je ne peux les suivre. Les drames et la profondeur des sentiments qui creusent l'être lorsque l'on marche simplement. Quel abyme se tient caché derrière le voile de chaque regard croisé? Tout se joue à l'intérieur, à tel point que d'aucuns ne prêtent plus attention au dehors, quand d'autres se scindent dans une schizophrénie quotidienne, un déchirement comme un craquement identitaire, une déchirure qui veut nous perdre pour une proto-vie, faite de proto-pensées pleines de proto-moi. Toujours le même travail d'équilibriste pour celui qui veut contrebalancer le poids de sa vacuité face à celle du monde, toute d'espace et de temps, et dieu sait quelle autre chose. J'utilise le mot chose pour des choses aussi fondamentales et vagues que le temps et l'espace: choses, paradigmes, formes, que sais-je encore, combien d'étiquettes pour dire ce qui n'est qu'un ressenti ininterrogé. Les mots sont bien dérangeants parfois, ils forcent le monde à leur syntaxe, à leur sémantique et à leurs règles grammaticales. Le temps, l'espace, je ne les pensais pas avant d'avoir le mot, ils étaient pour ainsi dire dans chaque geste, chaque perception, ma vie se fondait en eux ou plutôt se fondaient-ils en moi. D'ailleurs ils n'existaient pas vraiment, pas autrement que sous la forme d'un certain contenu analytique dont l'ensemble le plus haut et abstrait serait moi. Le temps, l'espace, c'est moi, du moins contenu en moi qui me contient en eux pour ignorer probablement l'aplomb qui m'annule de tous côtés. Récit de vertiges et d'histoires que l'on se conte pour ne pas tomber.

Toujours en marchant, je polis des mondes comme d'autres poliraient des pensées malsaines ou bien anticiperaient avec délectation la fête à venir, la musique à vivre et bien d'autres univers qui seront les scènes sur lesquelles ils languissent de faire leur entrée. Mais ce sont des mondes partagés en ce qui les concerne; il en est d'autres pour qui les univers sont des gouffres enclavés voués à creuser sans cesse la profondeur de leur être, à aménager une cave dans la densité de leur substance, elle-même lacunaire à tel point qu'il ne subsiste que des ilôts de je-ne-sais-quoi au sein d'un vide non moins je-ne-sais-quoi. Il paraît que même le vide n'est pas vide! Mais qui a jamais pu croire que le vide était vide? Vide: immédiatement une pensée, une représentation, et voilà que le vide existe. Néant: le néant n'est qu'un mot illustrant un processus, celui du temps. Mais revenons à nos univers. Imaginez un quidam que vous croisez dans la rue, visualisez maintenant son être sur le plan conscientiel, c'est à dire, imaginez sa conscience, son esprit ou son âme si vous préférez. Vous devez vous mettre à sa place: quelles sont ses pensées, quel système forment-elles, comment évolue-t-il, par quelles dynamiques est-il parcouru? Vous le pensez et il apparaît naturellement comme un immense gruyère. Le parties pleines sont ce que vous pouvez saisir de lui, ce qui est tangible, c'est à dire rien, rien qu'une substance qui n'est finalement pas lui, qui n'est que celle de tous les autres, ce qu'ils y mettent, ce qu'ils surimposent à lui afin de l'identifier, de le reconnaître. Le vrai esprit de cet homme, sa vraie(?) identité est dans les trous béants que vous traversez sans même apercevoir ce qui y vit, ce qui s'y trame secrètement, là où la musique se joue. Quel malheur que l'on ne voit jamais dans l'esprit d'autrui quelles merveilleuses cités y sont ensevelies, qu'on ne saisisse jamais le chantier qui agite l'âme et la fait frémir d'un mouvement interne qui dessine la structure de l'implexe, cette tension vers une direction qu'est l'humain, ce possible jamais épuisé et qui ondule d'un bord à l'autre, bâtissant par ce long tangage les actes d'un corps qui ne sont que le dernier maillon d'une chaîne immense, que le dernier ressac, faible et dérisoire, d'une onde de choc à la puissance infinie.

Imaginez le carnage, si l'énergie de la conscience pouvait se déverser à flot, entière et inaltérée parmi le monde objectif que partagent nos semblables, celui qui n'est qu'une immense synthèse de jugements qui n'appartiennent en fait à personne, seulement au langage qui a échappé à tous. Langage: outil qui informe tout ce qu'il touche, le marque de son sceau. Langage: matériau le plus souple que je connaisse pour exister parmi vous.

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