jeudi 9 février 2012

Socrate n'a jamais rien écrit...

Depuis quelques décennies, voire peut-être depuis bien plus longtemps que ça, notre société a élaboré une conception de la réussite (au sein de la vie publique) bien particulière et par ces particularités, très révélatrice d'un état d'esprit, d'une ère de notre Histoire.

Qui réussit aujourd'hui? Les artistes, les ingénieurs, les spécialistes, les entrepreneurs, les commerçants, les financiers, etc. et je me borne à des catégories très générales. Ce qui ressort d'un tel constat? Dans aucun de ces qualificatifs ne se peint le visage de l'homme, seule la tâche est représentée. L'homme est adoré dans sa fonction, dans ce qu'il fait, ce qui le spécialise. Plus un homme va s'incarner dans un domaine d'activité particulier en s'y enfonçant toujours plus, plus il gagnera le respect, plus il aura de poids dans la société. Bien plus qu'individualiste, notre société est alors productiviste.

On ne respecte pas ce qu'est un homme mais ce qu'il représente et ce qui le représente: son oeuvre. L'homme est reconnu par ce qui est finalement extrinsèque à lui, il est conçu dans une visée purement utilitariste. Qui sont les hommes extraordinaires de notre époque? Pas les artistes ni même les célébrités médiatiques qui ne sont que d'ordinaires travailleurs, de parfaits spécialistes. Les vrais originaux résident probablement dans l'ombre et le silence de la vie publique que l'on ne montre pas, ils sont peut-être ces hommes qui aiment la vie et l'humain pour ce qu'il est dans sa totalité. Car celui qui ne veut retenir de la vie qu'une activité bien définie, celui-là n'est jamais en paix car il recherche dans sa tâche un exutoire propice à le délivrer de son impéritie à exister. Il me semble vraisemblable que les hommes en paix sont ceux qui s'attachent moins à ce qu'ils produisent qu'à ce qu'ils sont, qui ne voient pas seulement le résultat de leur effort mais observent avec plus d'attention encore le processus de création qui est finalement ce qui les définit le mieux, ce qui est leur identité en action. Ceux là savent embrasser la diversité et n'ont pas peur d'admettre en public qu'ils n'ont pas forcément de talent particulier par lequel ils peuvent briller, ceux là n'ont pas besoin de tels prétextes à se faire valoir.

Peut-être que notre monde occidental devrait apprendre à apprécier en l'homme ce qui en constitue sa structure profonde, sa substance. Peut-être devrions-nous cesser de vouloir être immortel pour embrasser un peu de cette éternité qui habite chaque instant présent, chaque moment de l'existence. Peut-être, enfin, que nous gagnerions à écouter le silence face auquel on est seul, plutôt qu'à ne rechercher que le bruit.

Rappelons-nous que Socrate n'a jamais rien écrit...

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