Que sait-on de qui vit parfaitement inadapté aux structures qui le portent? Que sait-on de l'infinie brûlure du Sans-repos lancé sur les courbes du temps, à rebours de tous ses semblables, sans frère, sans étoile et sans alter ego? Beaucoup ne savent rien de cette existence nomade qui s'intercale entre les quelques dérisoires vides que laisse encore un système ignoble d'efficacité. Celui qui vit ainsi est sans cesse en danger d'expulsion, d'expurgation, ou pire, de "guérison", si jamais l'on saisit sa délinéation furtive dans les artères de la Structure. Celui-là vit sans jamais savoir sa valeur, parce qu'il ne fait pas partie du réseau axiologique en vigueur, il vit sans jamais savoir s'il n'est pas véritablement un ennemi du genre humain (et non seulement d'un système particulier), s'il ne doit pas être rectifié, s'il n'est pas une erreur de la nature.
Être en marge, penser en marge, ressentir en marge, autant d'excommunications dont on peut tirer quelque orgueil au départ mais dont, avec le temps, on finit par pâtir, s'étioler, s'interroger, se nier. C'est qu'une telle existence demande infiniment plus d'énergie que d'être porté par le courant dominant, elle est sans trêve ni armistice, elle vous ronge jusqu'au noyau et marque votre âme du sceau des parias. Vous ne pouvez vous reposer sur rien ni personne, trouver de répit nulle part -- pas même en soi --, vous êtes sans amis, sans famille, piégé dans l'envers de tout, prisonnier de votre nature qui vous exclut sans appel. Vous faites face au monde depuis la muraille étique de votre silhouette, de votre esprit et son inexpugnable extranéité, vous êtes condamné, en exil, pour toujours.
Même dans les yeux de votre femme vous êtes ce barbare qu'aucune grammaire ne rend intelligible; et le pire dans tout ça c'est que leur monde est ce qui vous maintient en vie -- entérinant ainsi votre nature de parasite.
Alors poète: la mort ne vaudrait-elle pas mieux?